De Kaboul à Calais
de Wali Mohammadi

critiqué par Ori, le 5 janvier 2020
(Kraainem - 88 ans)


La note:  étoiles
L’incroyable périple d’un jeune Afghan
C’est le récit de Wali, un ado qui par 2 fois décide de fuir son Afghanistan natal en proie à la guerre civile. Le pays abrite 4 ethnies distinctes, les Tadjiks (auxquels appartient notre héros narrateur), les Pashtouns, les Ouzbeks, tous sunnites, et les Hazaras, chiites.

Les Talibans, fondamentaux sunnites, perturbent ce subtil équilibre de cohabitation par suite du vide laissé par les occupants russes évacuant le pays en 1989. Mais déjà le lecteur découvre une cruelle hypocrisie, celle qui voit des Talibans sur de rutilants 4x4 fondre sur des villages pour capturer de tout jeunes ados tandis qu’ils prétendent châtier l’homosexualité !

Première tentative avortée de Wali, grand enfant de 12 ans, déjà orphelin d’un père torturé par les Talibans, et qui, fuyant son bidonville de Kaboul, traverse l’Iran, se fait arrêter en Turquie et est renvoyé vers son pays. Il perd entretemps la plus grande partie de sa famille, victime d’une roquette tirée à l’aveugle par les Talibans et décide à 14 ans de retenter l’aventure de l’exode, laissant son petit frère au pays afin de rejoindre sa grande sœur à Londres.

Il connait déjà les 5 menaces qu’il aura à affronter une seconde fois, c.-à-d. les trafiquants, les gardes-frontière iraniens, les gardes-frontière turcs, les militants du PKK (Kurdes en rébellion contre la Turquie) et les mines anti personnel. Nous apprenons les techniques des passeurs et leur système d’acquittement fractionné au fur et à mesure du déroulement du voyage initialement convenu. Cela sans compter les tricheries et chantages subis en cours de périple, ou les mauvais traitements et brutalités multiples occasionnés par les fonctionnaires, militaires, et compagnons de voyage, ou encore les rencontres de pervers, de pédophiles et d’homos.

L’un des précieux conseils reçus de copains co-voyageurs au Kurdistan et en Iran, a été de ne jamais regarder un passeur dans les yeux, « sinon ils peuvent te tuer sur-le-champ. Un passeur, une fois qu’il t’a acheté à son commanditaire, a droit de vie et de mort sur toi. C’est si facile, sur le bord des routes désertiques de se débarrasser d’un importun anonyme ».
Et ce réflexe de baisser les yeux devant ses interlocuteurs, Wali aura eu fort affaire à s’en débarrasser au cours de sa vie d’adulte, enfin heureux en France … mais n’anticipons pas !

Poursuivant ce voyage, dans la terreur d’être découvert et refoulé, il passe des nuits angoissées dans des poubelles, squatte des maisons inoccupées, des parcs publics, des camions en partance dans lesquels, économisant son souffle, Wali défiera les détecteurs de respiration ; il bénéficiera aussi parfois de repas distribués par les bonnes âmes du circuit associatif. Une petite partie du voyage s’opéra sur la mer, de la Turquie (Istanbul) à la Grèce (Pétra sur l’île de Lesbos), effectué sur 3 dinghies raccordés l’un à l’autre et à bord desquels la dizaine de passagers de rencontre se devait de ramer ferme tout en affrontant une houle généralement mortelle. Et puis ce fut l’Italie avec Venise, Rome Milan et la France avec Lyon, Paris, Calais.

Au cours de ces tribulations, notre petit héros aura subi des arrestations de courtes durées à titre dissuasif, l’Etat ne sachant trop que faire de ses immigrés, et subi également mille harcèlements de la part des Autorités qui semblent ignorer qu’un migrant arrivé jusqu’ici est définitivement blindé contre les revers de toutes sortes car son parcours véritablement initiatique, s’il lui a affaibli le corps aura renforcé son esprit ! Et c’est le cas de tous les Afghans, Kurdes, Somaliens et Erythréens qui l’entourent à Calais. Parallèlement, Wali aura aussi été séduit par l’esprit de liberté occidentale qu’il retrouve aussi dans les tenues vestimentaires féminines … mais il conserve toutefois ses pratiques musulmanes, en se reprochant vivement ses quelques écarts devant une bière ou une viande de porc.

A propos de Calais et de sa « jungle » (désignation de certains de ses quartiers réservés et/ou fréquentés par les migrants), le lecteur fait connaissance avec une savoureuse anecdote étymologique ; ces quartiers se situent dans une zone boisée, et en pashtoun ou en persan, forêt se dit ‘djangal’ ce qui à l’oreille des Calaisiens évoque le mot jungle !

Nous apprenons que certains migrants, quant à la destination finale choisie, demeurent à la merci de leurs préjugés ; ainsi d’un compagnon de voyage de Wali, admirateur des Vikings qui déploie fièrement sa carte en rêvant de parvenir jusqu’en Scandinavie ; quant à Wali lui-même, et outre la présence de sa sœur à Londres, il est profondément attiré par l’Angleterre, dont le peuple, grâce à ses qualités particulières, a conquis le monde, en devenant maître d’un immense empire colonial.

Mais la suite de ce récit lui infligera un cinglant démenti, car muni plus tard de papiers réguliers (adopté par une famille d’accueil, devenu entretemps élève surdoué, sujet d’interviews télévisuelles, lesquelles aideront à l’immigration de son petit frère, et à la naturalisation française) il pourra franchir la Manche pour rapidement revoir sa sœur, et y découvrir une condescendance anglaise, et un communautarisme qui le désenchantent : au lieu de tirer avantage de ce monde nouveau et de s’y intégrer, voilà que certains se regroupent en colonies et quartiers indo-pakistanais aux boutiques de produits traditionnels isolés, et revivent leur passé en y reproduisant leurs structures de villages … !

Parti de Kaboul avec 4.000 dollars et plus rien à l’arrivée à Calais, Wali termine son récit en partageant avec le lecteur ses états d’âme, sa dérision quant aux étudiants français qui plutôt que de jouir de la gratuité de l’enseignement ne prennent pas leurs études au sérieux. Il demeure indécis quant à l’avenir professionnel qu’il entend se choisir, les études supérieures qui l’attirent, et même un retour vers son pays natal dont il aurait désiré pouvoir influencer le destin …