La Vision de Bacchus
de Jean Dytar

critiqué par Blue Boy, le 26 décembre 2019
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Un album en ombres et lumières
Pour son second opus, Jean Dytar a choisi pour cadre la ville de Venise sous la Renaissance, où les arts et la peinture rayonnaient sur l’Europe depuis plus d’un siècle. C’est à travers deux peintres majeurs de l’école vénitienne que l’auteur aborde son récit : Giorgione (1477-1510), emporté par la peste à l’âge de 32 ans, et Antonello de Messine (1430-1479), vénéré par le premier qui le considérait comme son mentor, sans l’avoir jamais rencontré.
Venise, octobre 1510. Le peintre Giorgione, touché par la peste, s’apprête à jeter ses dernières forces dans un ultime tableau. Une façon de se mesurer à Antonello de Messine, le maître illustre qui sans le savoir l’orienta plus jeune vers la carrière de peintre, un artiste dont la vie tumultueuse nous est racontée ici par Jean Dytar.

En référence à l’univers pictural des deux artistes, Jean Dytar a conçu ses cases comme des petits tableaux, en jouant avec l’ombre et la lumière (à l’époque, l’école flamande fascinait et influençait beaucoup les Italiens), entamant une sorte de dialogue entre la peinture et la bande dessinée. Cela produit un style très singulier, révélant chez son auteur une très grande finesse, pas si courante dans le neuvième art.

Nous sommes ainsi plongés dans l’atmosphère vénitienne de ce siècle flamboyant, où se jouaient en coulisses les luttes de pouvoir et d’influence, tant dans le domaine politique qu’artistique. Mais ce dont nous parle surtout Jean Dytar, ce sont les affres de la création, et en particulier de la manière dont l’artiste peut parvenir à insuffler la vie dans son œuvre. De quelle manière doit-il s’impliquer pour représenter au mieux son sujet sur la toile ? Ne devra-t-il pas y laisser un peu de sa propre vie pour en mettre dans son tableau ? L’auteur effectue sa démonstration via le personnage d’Antonello de Messine, qui se voit chargé par un riche banquier, un certain Filippo Barbarelli, d’immortaliser en peinture sa jolie et magnétique épouse au regard triste, afin qu’il puisse la désirer jusqu’à la fin sans redouter le spectacle de sa lente décrépitude. Il acceptera la commande, tout en imposant ses exigences, notamment celle de travailler dans le plus grand secret vis-à-vis de son client, car pour peindre avec le plus grand réalisme l’épouse du vieux Barbarelli, il devra emprunter des chemins peu orthodoxes… Un travail brillant qui une fois terminé le rendra exsangue moralement, et laissera madame dans une solitude glacée, détrônée par son double figé dans la gouache dans le cœur de son mari.

Toutes ces questions sur le processus créatif sont passionnantes et sont traitées avec subtilité par l’ex-prof d’Arts plastiques qu’est Jean Dytar, qui développe un style tout à fait unique depuis une décennie. De plus, il sait insuffler suffisamment de mystère dans ses histoires pour les rendre captivantes. Auteur modeste, il sait se faire pédagogue en évitant tout snobisme et vanité vis-à-vis de ses lecteurs. Une qualité qu’il aura sans doute conservée de son passage dans l’enseignement, et qui s’explique aussi par le plaisir de partager la connaissance, tout simplement.