Entre eux
de Joséphine Humbert, Michel Raynaud, Caroline Larroche (Dessin)

critiqué par Eric Eliès, le 25 décembre 2019
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Silhouettes sans visage
C’est une toute petite plaquette, réalisée pour une exposition et joliment imprimée sur un papier épais en tirage très limité (175 exemplaires), qui diffuse un charme étrange. Deux courtes suites de poèmes accompagnent (comme pour leur donner une résonance) une douzaine de peintures de Caroline Larroche représentant des silhouettes hiératiques, sans visage et serrées les unes contre les autres sur un fond brouillé qui parfois semble sur le point de les engloutir par le voisinage des couleurs en clair-obscur. Sont-ce des hommes, des spectres ou même d’étranges créatures à mi-chemin du rêve et de la vision ? Les poèmes, écrits à deux voix, interrogent cette ambiguïté.

Joséphine Humbert creuse les souffrances de ces silhouettes esquissées, presque des golems aux traits indistincts, qui portent l’espoir d’une individualisation hors de la foule qui les presse et les agglutine en une masse compacte comme un mur vivant, dans l’attente d’un frémissement qui viendrait leur donner souffle.

Le pas lent / l’échine courbée / le pas lent, / la mer, le mur, / la vague, le vide. / Ils rêvent, statuaires, / d’un cillement. / Et les anges dansent sur les toits.

L'écriture de Michel Raynaud est, quant à elle, plus analytique, à la limite du commentaire en prose poétique, et tournée vers le spectateur des tableaux, qui devient acteur de la représentation. Ces spectres indistincts, qui se détachent à peine du tableau, semblent surgir de nous, comme si c’était nos peurs ou nos espoirs qui concrétisaient leur existence évanescente.

Au fond de nous il y a toujours / ces fantômes obsédants / multipliés à l’infini de nos rêves / ou de nos cauchemars.
Parfois ils nous masquent et nous / révèlent la vérité crue de la lumière / d'où ils émergent. / On ne sait ce qui nous trouble le plus, / leur silence sombre / ou le hurlement de la couleur.