Les Abysses
de Biz

critiqué par Libris québécis, le 11 décembre 2019
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Meurtre dans un ZEC
Une zone d’exploitation contrôlée (ZEC) attire surtout les chasseurs et les pêcheurs. Il s’agit d’un territoire vierge protégé et difficile d’accès. Il faut une autorisation pour s’y rendre. Et sur les lieux, des gardes forestiers voient à l’application des règlements tels que le nombre de poissons capturés ou de bêtes abattues.

En littérature, de nombreux romanciers entraînent leurs lecteurs dans ces zones, jadis réservées à des clubs privés de gens bien nantis. Les personnages de l’œuvre sont surtout des amants de la nature, qui se paient une semaine de pêche ou de chasse. Même nos voisins du Sud, les Américains, s’y amènent en grand nombre. Avec cette donne, Biz (Sébastien Fréchette) a concocté un roman qui pose son décor dans la région de Baie-Comeau, une ville de la Côte-Nord.

C’est avec un veuf, Michel Métivier, et sa fille Catherine que l’auteur se rend au ZEC Varin. Ses personnages y vont le week-end, espérant abattre un orignal (élan) à l’arbalète. Ils habitent à cette occasion dans une roulotte pourvue de tous les instruments appropriés à l’art cynégétique. Quelques voisins louent des camps (cabanes) qui, eux aussi, s’adonnent à la même passion que les protagonistes. Tout s’annonce pour y couler des heures heureuses,

Construit comme une nouvelle, le préambule conduit rapidement à un élément déclencheur tragique. Un Américain est abattu sur les lieux sans que l’on ne puisse retrouver le corps. Cependant, l’étiquette de métal ornant sa casquette gît dans les cendres du foyer des Métivier érigé devant leur roulotte. Les enquêteurs n’ont pas tardé à établir un lien entre leur découverte et le meurtre. La preuve ne peut être qu’irréfutable. Michel Métivier est coupable de l’assassinat. Ce semble évident même si la responsable de l’enquête n’adhère pas à cette version des faits.

L’auteur ne se limite pas à détailler le schéma ci-dessus. Il en profite pour scruter les abysses, qui recèlent le drame de ses personnages, comme le mentionne le titre. Qui sont Michel et Catherine Métivier ? Un père qui joue son rôle tout en apportant un surplus d’attention à sa fille, orpheline de mère depuis sa naissance. Les deux forment un tandem presque idéal. Chacun s’admire. Chacun est une fierté pour l’autre. Mais ce drame à des conséquences néfastes. Vivre à Baie-Comeau n’est pas vivre dans une mégapole anonyme. Tous se connaissent. Et Michel est rapidement désigné comme le boucher de la ville. Qui voudrait tenir compagnie à sa fille, finissante au lycée ? La solidarité cède le pas à la solitude. On devient persona non grata. C’est pénible à vivre dans un milieu fermé et davantage quand ton père est en prison pour au moins douze ans. Les visites derrière une vitre blindée sont de mauvaises conductrices de chaleur humaine.

C’est encore pire quand la cohorte des journalistes est à l’affût de la bête, qui doit se séquestrer avec son chat pour échapper à leurs questions assassines. Faute de renseignements, l’imagination des loups médiatiques est féconde. On crée des monstres avec chacun des membres du clan familial. Ce manque de rigueur professionnelle s’ajoute au manque de professionnalisme des policiers. On tient un prétendu coupable. On doit le faire condamner à tout prix. Les cas ne sont pas des exceptions au Québec.

Biz démontre éloquemment que les drames détruisent la famille. L’amour s’absente au concert des projets d’avenir. Comment peut-on aimer dans les circonstances ? On ne vit plus, on survit. Pour toujours peut-être. L’auteur ne le dit pas. C’est un homme réservé. Il sait marcher sur des œufs sans les faire craqueler. C’est un bon Biz. Pour le suivre, il faut être athlète car l’écriture déménage à un rythme rapide.