Entrez dans la danse
de Jean Teulé, Richard Guérineau (Scénario et dessin)

critiqué par Blue Boy, le 6 décembre 2019
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Danse macabre
Que s’est-il passé durant cet été de l’an de grâce 1518 à Strasbourg, où une partie de la population s’est mise à danser sans discontinuer pendant deux mois, laissant les autorités de la ville totalement impuissantes ? En s’inspirant du roman de Jean Teulé, Richard Guérineau raconte en dessin cette incroyable épidémie qui s’est terminée de la façon la plus tragique.

Pour la seconde fois, après l’excellent « Charly 9 », Richard Guérineau met en images un récit de Jean Teulé, qui décidément semble inspirer les auteurs de BD. Logique me direz-vous, quand on sait que celui-ci a fait ses premières armes en dessinant notamment pour l’Echo des savanes. Avec « Entrez dans la danse », Guérineau parvient une nouvelle fois à nous rendre proche un chapitre de l’histoire de France, ici très méconnu, à l’aide de son trait semi-réaliste très vivant, qui du coup convient parfaitement à la thématique traitée : la danse. La particularité du fait divers narré ici réside dans son extrême rareté et dans le fait que personne n’a jamais pu fournir d’explication satisfaisante. Folie collective ? Virus ? Mauvaise conjonction des astres ? Conséquence de la famine qui sévissait à l’époque ? Les suppositions allaient bon train chez les médecins et les ecclésiastiques… Quoi qu’il en soit, la « danse de Saint-Guy » qui s’était emparée soudainement des Strasbourgeois a démontré comment une pratique aussi anodine qu’un simple déhanchement, certes collectif et prolongé, réussit à mettre aux abois les autorités, révélant tout ce qu’elle pouvait avoir de subversif. A l’époque, la ville alsacienne était évidemment sous le carcan de l’Eglise catholique. Celle-ci jugea avec sévérité le comportement des habitants, qui pourtant ne semblaient aucunement conscients de leurs actes. Comme saisis par une transe mystérieuse, ils se contentaient de danser comme si le monde autour d’eux n’existait plus.

L’originalité de l’ouvrage tient plus dans la retranscription graphique que dans la narration en elle-même (celle-ci n’étant in fine qu’un compte-rendu chronologique de ce drôle de fait divers, si terrible soit-il), et pour cela, Richard Guérineau nous a déjà montré toute la créativité dont il était capable. La description de ces danseurs et danseuses qui semblent n’être que les pantins inoffensifs totalement sous le contrôle d’une puissance occulte, ramenés au rang de zombies désarticulés, donnent lieu à de longues scènes silencieuses à la fois comiques et saisissantes, que Rabelais, contemporain de l’époque où se déroule l’action, n’aurait pas reniées. Comme il sait très bien le faire, Guérineau joue beaucoup d’un point de vue visuel sur le décalage temporel avec quelques allusions furtives à notre époque, qui par exemple voient la place de la cathédrale strasbourgeoise se transformer en rave party échevelée et torride. A travers cette histoire vraie, l’auteur dénonce à sa manière l’initiative meurtrière et sanglante des autorités catholiques pour mettre fin à ces paillardises « impures »… Hasard du calendrier ou non, Strasbourg se convertit quelques années après la tragédie au protestantisme…

C’est donc avec un certain plaisir que l’on se laisse entraîner dans cette danse macabre phénoménale, dont les causes mystérieuses auront été emportées dans l’au-delà avec ses victimes, en raison de la bêtise religieuse la plus barbare. Avec ce nouvel opus, l’auteur du « Chant des Stryges » semble avoir pris goût au récit historique, un genre qui lui réussit plutôt bien.