Dormir sans tête
de David Clerson

critiqué par Libris québécis, le 3 décembre 2019
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'Humanité à la dérive
Dans ce recueil de nouvelles, David Clerson nous livre sa vision du monde avec une plume sérieuse qui évite les québécismes. Sa rectitude linguistique donne du poids à son discours, qui se veut une illustration de la société d’aujourd’hui.

L’auteur ne simplifie pas la tâche du lecteur. Il englobe sa perception dans un monde surréaliste en empruntant les voies oniriques longeant la frontière de la réalité. Autrement dit, il explore les possibles de l’humanité comme le conteur Fred Pellerin, qui a réussi à faire installer par la municipalité un panneau annonçant le passage des lutins sur la route du village. C’est avec un certain sourire qu’on lit ses passages improbables que l’on aimerait voir s’avérer.

Le monde joyeux de Pellerin s’oppose par contre à l’esprit de son collègue. David Clerson brosse plutôt le tableau d’Adam et Ève chassés du paradis et condamnés à souffrir et à mourir. Ses personnages sont des ténébreux dont l’existence a été envahie par le monde animal, tels le singe ou les insectes. On sent un relent de La Métamorphose de Kafka. Comme ce dernier, l’’auteur de Sherbrooke trace le drame de l’aliénation qui a conduit l’être humain à patauger dans un tunnel fermé. L’humanité s’est-elle émancipée ? Loin de là. Elle est rongée par d’abominables maux qui l’ont rangée cruellement dans l’ordre du règne abstrait et condamnée à oublier son réel statut. Autrement dit, à vivre sans tête comme l’indique le titre.

Pour apprécier cette œuvre très réussie en son genre, il ne faut pas craindre de circuler à tâtons entre le réel et l’imaginaire, entre la vie et le rêve. Déprimés, s’abstenir.