La renaissance de la liberté - Souvenirs et réflexions
de Paul Valéry

critiqué par Débézed, le 28 novembre 2019
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Souvenirs et réflexions
Ce recueil a été établi, présenté et annoté par Michel Jarrety ; dans sa préface, il explique l’objet de cette publication, ce qu’elle comporte et comment il a procédé pour l’établir. Comme son sous-titre, Souvenirs et réflexions, l’indique de manière explicite, elle se compose de deux parties : une première regroupant des souvenirs que Paul Valéry a laissés dans ses nombreux écrits brefs, la seconde comportant des réflexions formulées sur son œuvre, la littérature, le langage, l’Europe qui le préoccupait fort surtout depuis qu’il faisait partie d’une commission de la Société des Nations. Pour présenter ce recueil, Michel Jarrety a regroupé quelques-uns des très nombreux textes de circonstances que l’auteur a écrits, parfois à la hâte, cédant à la pression de ses amis et autres personnalités jugeant utile d’user de sa gloire et de sa notoriété pour valoriser leurs œuvres ou leurs entreprises.

Dans ce texte, le lecteur trouvera donc des préfaces, des contributions ou des introductions à des conférences, congrès ou autres manifestations culturelles, des hommages, des témoignages, des discours, mais aussi des articles, des courriers, des notes plus ou moins personnelles, des notules, etc… Certains de ces textes ont été repris, parfois plusieurs fois, dans des publications précédentes et d’autres sont restés parfaitement inédits non pas parce qu’ils sont inintéressants mais plutôt parce qu’il y avait surabondance de matière et qu’ils ont été écartés faute de place pour eux. Tous ces textes ne sont pas de la même qualité littéraire, certains, manifestement, ont été écrits à la hâte, juste pour ne pas dire non à un ami ou à un personnage important, d’autres comportent des passages dignes des grandes ouvres de Valéry. Tous ne présentent pas le même intérêt, certains n’évoquent que des faits relativement banals, d’autre sont de profonde réflexions, souvent très pertinentes notamment quand l’auteur formule des projections sur l’avenir des lettres ou de l’Europe.

La première partie comporte, sous diverses formes, ses souvenirs dans un ordre chronologique ; ils commencent par un billet sur Montpellier en 1890 où il a rencontré Pierre Louÿs qui n’était encore que Pierre Louis. Il évoque ensuite ses divers séjours en Angleterre où il avait de la famille et où il rencontra de nombreuses personnes du monde des lettres notamment Joseph Conrad. Et ainsi de suite, de note en billet, de lettre en hommage, il évoque de très nombreux personnages, Rilke dans une lettre, Léon Paul Fargue dans une notule, tout un ensemble d’auteurs et gens de lettres gravitant dans le monde littéraire de la première moitié du XX° siècle en Europe ; Paul Valéry croyait ferment à une culture européenne vecteur de l’identité, du rayonnement et du développement de l’Europe.

Dans la seconde partie consacrée à des réflexions formulées surtout à travers des interventions dans des manifestations culturelles, il évoque son œuvre, assez peu, ce n’est pas son sujet de prédilection. De manière générale, il parle peu de lui et de sa vie privée. En contrepartie, il intervient plusieurs fois sur l’avenir de la littérature qu’il juge bien sombre face à la montée en puissance de la presse écrite et de la radiophonie. Il formule même des conjectures qui auraient encore un sens aujourd’hui en remplaçant presse et radio par réseaux sociaux, Internet, téléphones androïdes, etc… Il juge que les lecteurs « ne lisent en général que des journaux ; or, au point de vue des formes et au point de vue des idées, une culture fondée sur la lecture des journaux uniquement, est une culture finie ». Il est encore plus inquiet sur l’avenir du langage, véritable nourriture de la littérature. « Il y a une foule de mots français qui ont disparu dans l’espace d’une génération à peu près, des mots précis, d’origine populaire, généralement très jolis ; ils s’effacent devant la mauvaise abstraction, devant les termes techniques qui envahissent notre langue ». là aussi son jugement était prémonitoire même s’il ne connaissait pas encore la création d’un jargon international incapable de véhiculer une quelconque culture, seulement des éléments de technologie basiques.

Il y aurait beaucoup d’autres choses à évoquer après la lecture de ces courts textes, on sait depuis longtemps que la forme courte permet de dire beaucoup en peu de mots, mais il faut laisser au lecteur le soin de soulever lui-même les idées qui l’intéressent. Pour ma part, j’ai noté avec un réel intérêt ce que Paul Valéry pense des chroniqueurs qui ont lu ses œuvres et qui en parlent. Pour lui l’auteur n’a que son propre point de vue sur son œuvre alors que les lecteurs peuvent en mettre en évidence d’autres et soulever d’autres questions. Le lecteur ne connait, souvent, l’auteur qu’à travers ce qu’il écrit et non ce qu’il est réellement. « Entre l’auteur tel qu’il est et l’auteur que l’œuvre a fait imaginer au lecteur, il y a généralement une différence qui ne manque pas de causer les plus grands étonnements… ». Et Paul Valéry ajoute que l’auteur est souvent victime du message qu’il a voulu passer oubliant certaines idées figurant pourtant bien dans son texte. « En un certain sens on peut dire que l’auteur ignore son œuvre ; il l’ignore en tant qu’ensemble, il l’ignore en tant qu’effet ; il ne l’a éprouvée qu’à titre de cause, et dans le détail ». J’essaierai de ne pas oublier ces sains principes quand je m’aventurerai encore à parler des écrits des autres.