Etre maire en Béarn : Du seigneur à l'entrepreneur
de Colette Moreux

critiqué par Falgo, le 12 octobre 2019
(Lentilly - 84 ans)


La note:  étoiles
Regard acéré sur l'évolution de la ruralité française
Sociologue franco-québécoise, Colette Moreux a atterri à l'Université de Pau. Elle a utilisé ce poste pour effectuer une étude sociologique de la mairie d'une commune proche, surnommée Labarthe, pendant plusieurs mandats de deux maires différents.
Elle y a découvert que le premier maire, Sébastien, (1965-1977) a poursuivi dans le village la tradition issue directement du Moyen-Âge. Attaché au village depuis des générations, il en a respecté les traditions sociales, familiales et électorales, s'appuyant sur des familles anciennes et ancrées dans le terroir qui constituaient son "clan" opposé à ses adversaires, jouant parfaitement son rôle de chef de village. Il a exercé un réel pouvoir par delà un Conseil Municipal constitué d'affidés recrutés selon une procédure traditionnelle pour former une liste unique et apolitique en vue des élections. Son pouvoir a été quasi-seigneurial, décidant de tout, dans une ambiance festive peu formelle dans laquelle le rugby joue un rôle important, répartissant les cadeaux selon des stratégies précises, défendant le village contre les volontés d'empiétement du pouvoir central (le Préfet). Son objectif a été de maintenir une tradition millénaire, respectant les besoins de chacun, réglant les litiges sans appel à la Justice, sauvegardant un mode de vie, des traditions familiales et de voisinage venant d'un autre âge. Sa réélection en 1971 a été assurée par une composition très élaborée de la liste électorale, lui permettant ainsi de bénéficier et de maintenir une tradition culturelle venue du fond des âges et fortement ancrée dans le village et sa structure sociale.
Patatras, en 1977 Sébastien est battu. Comme ailleurs en France, tout a changé progressivement. Des "étrangers" sont venus s'installer au village, faisant alliance avec les opposants à Sébastien au delà des conflits et affrontements avec la tradition. Un agriculteur du village, Jean Cazenave, un peu marginal et novateur, a fédéré tout ce monde. Son objectif a été de faire évoluer le village comme il a fait évoluer ses pratiques agricoles. Il va le lancer dans une modernisation correspondant à l'afflux des nouveaux venus et aux évolutions générales. Il a été soutenu en cela par sa femme, Francine, venue d'un village voisin, qui a créé et pris en mains les mouvements associatifs qui offraient aux nouveaux arrivants les dynamiques culturelles dont ils avaient besoin. Ainsi se réalise peu à peu un basculement culturel, soutenu par le maire, qui enterre les vieilles traditions sociales et familiales, auquel se rallient progressivement les "anciens". Une profonde osmose réunit ainsi mairie, qui ne s'appuie pas sur des investissements économiques, et mouvements associatifs dans une dynamique modernisatrice qui transforme le village à la fois géographiquement et moralement Cette description rejoint celle de Jacques Le Goff soulignant les évolutions de Cadenet (Vaucluse) dans la "Fin du village".
En très bonne sociologue, Colette Moreux décrit par le détail ( entretiens, réflexions, anecdotes, rappels théoriques dans la mouvance de Weber) nombre de résistances et d'évolutions. Ce texte est en soi une mine d'intelligence de ce temps.
Dans sa conclusion elle élargit son discours à la nation, regrettant que les politiques soient trop tournés vers l'économisme et sous-estiment constamment les forces sociologiques qui parcourent notre pays, elle reprend l'historique division entre le jacobinisme d'Etat et les soubresauts locaux dans une perspective qui éclaire les difficultés actuelles nées souvent d'une top grande prééminence de l'économique sur le sociologique. A méditer.