Nanaqui: Une vie d'Antonin Artaud
de Benoît Broyart, Laurent Richard (Dessin)

critiqué par Shelton, le 12 octobre 2019
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
Très réussie !!!
Antonin Artaud est un artiste pluriel que nos enseignants de littérature ne savent pas toujours classer avec finesse dans l’ensemble… Certes, il fut poète, dramaturge, écrivain, essayiste, critique, acteur, surréaliste… mais il n’en demeure pas moins que pour beaucoup il fut déséquilibré, atteint de troubles psychiatriques, interné durant presque dix ans, asocial, solitaire… C’était un fou, quoi !

Gilles Deleuze, le philosophe, considérait qu’Artaud avait atteint la profondeur absolue de la littérature française, Henri Thomas le considérait comme un géant, Arthur Adamov, Marthe Robert et Jean Paulhan se battront, eux, pour qu’il puisse sortir de l’asile… Oui, il n’a pas laissé indifférent et Abel Gance l’a fait jouer dans son Napoléon, dans son Lucrèce Borgia tandis que Carl Theodor Dreyer l’engage dans son film La passion de Jeanne d’Arc… Jamais il n’obtiendra un rôle principal mais chaque fois qu’on le voit on comprend qu’il vit pleinement ses rôles, ses personnages… C’est comme tout ce qu’il fait, il est habité totalement et c’est un des éléments qui le pousse doucement vers une perte de la réalité…

Mais, alors, était-il possible de mettre «une vie d’Antonin Artaud» en bande dessinée ? S’il c’était agit, comme par exemple le fait remarquablement bien Catel, de mettre en bande dessinée une biographie d’Antonin Artaud, une biographique comme le dit l’autrice, je pense que l’entreprise aurait été vouée à l’échec… Mais, en fait, Benoît Broyard, le scénariste, voulait juste explorer les méandres de la vie d’Artaud tout en lui rendant hommage ! Il voulait aborder l’asile pour montrer les psychiatres de l’époque ! Il voulait rencontrer le génie sans trop montrer le résultat juste le drame de la création…

Du coup, ce roman graphique est de toute beauté et d’une profondeur incroyable même s’il n’est pas porteur d’une joie de vivre incommensurable !

Le scénariste a décidé de nous faire pénétrer en quelque sorte dans la tête d’Artaud, dans ses visions, dans ses angoisses, ses craintes, ses doutes, ses hallucinations… On voit que la psychiatrie est démunie, qu’elle tente, tâtonne, expérimente et utilise l’immobilisation, la camisole de force, les électrochocs… On le voit aussi avec ses addictions en particulier au laudanum…

Au bilan un livre remarquable, pas facile à construire et il faut saluer la narration graphique de Laurent Richard qui sait nous faire oublier les cases trop bavarde… Oui, quand un psy parle, c’est toujours long…

J’ai été séduit par ce roman graphique atypique et j’espère qu’il saura en convaincre beaucoup d’autres et que cela participera à maintenir Antonin Artaud vivant parmi nous !