Les Marines Du Danube 1526-1918
de Noël Buffe

critiqué par Fanou03, le 30 juin 2019
(* - 48 ans)


La note:  étoiles
Affrontements sur le Danube
Les affrontements entre le Saint-Empire-Romain et l’Empire Ottoman ont marqué durablement l’Europe orientale, au moins jusqu’en 1918. L’ouvrage de Noël BUFFE montre qu’au cours de ces centaines d’année de rivalité, les deux Empires ont développé une marine militaire fluviale spécifique au Danube afin d’en avoir la maîtrise, tant le cours d’eau s’est avéré un axe stratégique du point de vue militaire. La plaine hongroise en effet, passage obligé pour les forces des deux adversaires, était d’une traversée hasardeuse pour une armée. D’une part parce que les faibles rendements agricoles du pays ne permettaient pas aux hommes de troupes de se nourrir sur le pays ; d’autre part parce que son réseau routier fut longtemps inexistant, ou de très médiocre qualité, promettant l’enlisement à la mauvaise saison, en particulier pour les lourds charrois de vivre et des pièces d’artillerie.

Le Danube, seul, permettait donc aux convois en soldat, en vivre et en armes de se déplacer avec efficacité. Cela nécessitait une marine de transport ainsi que des bâtiments pouvant la protéger. La Porte, qui avait une tradition navale déjà ancienne du fait de la guerre en méditerranée, fut la première à mettre sur place une organisation efficace et une marine performante, qui lui assura pendant les premiers siècles une domination très nette sur le Danube.

Mais du côté du Saint-Empire, suite à plusieurs déconvenues militaires, l’importance du fleuve s’impose lentement dans les esprits des états-majors. C’est surtout grâce à l’impulsion du Prince Eugène de Savoie, à partir de 1690, que la flottille impériale prend forme. Pour l’Empire, sans tradition navale forte, c’est un défi : recruter les équipages et les charpentiers, trouver la matière première, créer les arsenaux, mais surtout en premier lieu... trouver de l’argent ! Le choix du type de navire, qui devait être adapté à l’environnement fluvial et couvrir plusieurs type de besoin, se fera par tâtonnement, en s’inspirant des adversaires: face aux redoutables galères turques, les impériaux vont opter pour tout un panel de bâtiments, qui ira de la traditionnelle barque à fond plat, la zielle, en passant par des bateaux ronds à rame fortement équipés de canons. La puissance de feu de ces derniers finira d’ailleurs par venir à bout de la marine ottomane et assurera à l’Empire autrichien la maîtrise du Danube. L’évolution ultime de la flotte se fera, au début du vingtième siècle, à travers des bâtiments à vapeur de type monitor.

Si quelques bémols sont à relever dans l’ouvrage (coquilles typographiques désagréables, absence de cartes dignes de ce nom, repères chronologiques inexistants, lecture fastidieuse liée aux descriptions techniques de la construction des différents bâtiments...), cette plongée dans un aspect inattendu du séculaire conflit austro-ottoman est tout à fait passionnante. Noël BUFFE explique de façon extrêmement détaillée et claire les enjeux logistiques dans la conduite des opérations militaires, souvent méprisés par les états-majors autrichiens de l’époque, mais essentiels quant au maintien en vie des forces combattantes. Les caractéristiques de la géographie de la plaine hongroise et du Danube sont rappelées avec précision, car elles éclairent directement l’existence de cette flotte. Un volet du livre est surprenant : c’est la large analyse faite à la description de l’organisation ottomane. L’auteur ne cache pas son admiration pour la minutie et l’efficacité de l’administration de la Porte, qui explique aussi largement leur longue domination face à des états européens plutôt démunis.

Les contraintes et les antagonismes auxquels ont dû faire face ceux qui ont créé la flottille autrichienne du Danube forment aussi une large part du livre, et s’avèrent très éclairant, qui vont des difficultés financières aux réticences psychologiques d’une tradition militaire axée sur l’armée de terre – l’Autriche ne possédant pour ainsi dire pas de façade maritime. Le livre de ce point de vue là illustrerait parfaitement quelques chapitres de l’ouvrage de Edward Luttwak, Le Grand Livre de la Stratégie, (« la stratégie se développe dans deux directions : les affrontements horizontaux entre adversaires et l’interaction verticale des différents niveaux – technique, tactique, opérationnel sur lesquels se déroule le conflit »). En particulier le livre de Noël BUFFE montre bien qu’en terme technique les Autrichiens se sont au départ largement inspirée du modèle naval de leur adversaire, pour parvenir finalement à le dépasser.