L'origine du monde - Histoire d'un tableau de Gustave Courbet
de Thierry Savatier

critiqué par Débézed, le 14 juin 2019
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Les mystères de l'Origine
A l’occasion du deux centième anniversaire de la naissance de Gustave Courbet, les Editions Bartillat rééditent le livre de Thierry Savatier consacré au tableau de Courbet qui fit tellement scandale : « L’origine du monde ». si le tableau fit couler beaucoup d’encre et de salive, s’il généra bien des émotions et suscita moult curiosités, son histoire, elle, provoqua bien des discussions et nourrit de nombreuses polémiques tant elle est encore bien mystérieuse. Thierry Savatier a sous-titré son ouvrage : « Histoire d’un tableau de Gustave Courbet », c’est donc bien du cheminement emprunté par ce tableau pour aboutir au Musée d’Orsay dont il est question dans cet ouvrage. Il écrit dans son introduction : « Son histoire s’égare loin des sentiers battus et réserve nombre de surprises ». C’est pour cette raison, entre autres, qu’il a décidé « d’emprunter la voie la plus difficile, …, la plus pragmatique : écrire une étude… ». L’auteur confie tout de même qu’une version romancée pourrait éventuellement venir compléter cet essai.

Dans son étude, Thierry Savatier s’intéresse à tous ceux qui ont vu, et même seulement approché, le tableau, décortiquant leur biographie pour dénicher éventuellement une quelconque influence qu’ils auraient pu avoir sur sa vie, sa conception, sa fabrication et surtout son histoire. Il explore l’environnement du peintre, des différents possesseurs du tableau, de tous ceux qui auraient pu en parler, le recommander, l’acheter, le vendre, le prendre, le cacher, le négocier, le montrer en douce. Il a lu des tonnes d’archives, de livres, de revues, d’articles de presse, des mémoires, des correspondances, des documents non publiés…, il lit tout ce qui parle peu ou prou de ce tableau, ce qui l’a obligé à ajouter quelques passages au présent essai pour en assurer la mise à jour.
Il commence cette étude en essayant de comprendre comment Courbet a eu l’idée de peindre cette toile, puis de découvrir pour qui il l’a réalisée et à partir de quel modèle. Ensuite, son essai suit le cours de l’histoire de cette œuvre, la reconstituant bribe par bribe, en restant parfois dans la supposition, il redécouvre le chemin emprunté par L’Origine pour finir sur les cimaises du Musée d’Orsay où elle est toujours et toujours aussi admirée. Ce serait, selon l’auteur, le tableau le plus vu en France après la Joconde. Thierry Savatier propose une histoire très plausible, parfois même très probable, mais il a l’honnêteté quand il lui manque une preuve formelle, de laisser la porte ouverte à d’autres interprétations. Certaines zones de l’histoire de cette fameuse toile restent encore un peu nébuleuses, d’autres découvertes pourraient encore les préciser.

Thierry Savatier ne s’est pas contenté d’effectuer un travail de détective pour suivre l’œuvre dans les pérégrinations que ses divers possesseurs lui ont infligées. Il a réalisé d’importantes analyses picturales, anatomiques, scientifiques, avec le concours des meilleurs spécialistes, pour bien comprendre le travail du maître et pour essayer de répondre à la multitude de questions que soulève cette œuvre tellement décriée et, à la fois, tellement fascinante. Pour ma part, je reste toujours avec mes deux questions : tout d’abord je reste ébaubi par ce tableau qui, quand on l’a vu plusieurs fois peut paraître plutôt banal, mais qui toujours intrigue, fascine, et je me demande si c’est seulement le talent du peintre qui le rend si attirant, qui donne une telle vie à ce corps sans tête ? Son audace dévoilant le sexe de la femme sans aucune réserve mais sans aucune volonté de choquer non plus a certainement joué un rôle important dans la renommée de cette œuvre.

L’autre question que je me pose, c’est comment une toile qui a été si peu vue avant d’entrer dans un musée public, une toile dont on a même pendant de longues années perdu la trace, a-t-elle pu tellement choquer, tellement déchaîner la critique, obtenir une telle popularité ? On a l’impression que personne ne l’avait vue mais que tout le monde en parlait, ce point reste assez mystérieux et montre combien cette œuvre est unique, fascinante et combien elle dépasse les limites de la peinture et de l’art en général.

Thierry Savatier a bien raison de confier sa conclusion à Marcel Duchamp quand il disait : « c’est le regardeur qui fait l’œuvre ». Alors, encore regardons et ne nous lassons jamais du génie de cet immense peintre que sera toujours Courbet. Il est l’un des rares peintres dont la cote n’a jamais baissé depuis qu’il a vendu sa première ouvre.