Le Marabout
de Ayavi Lake

critiqué par Libris québécis, le 11 juin 2019
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Une Sénégalaise de Jonquière
Jonquière forme avec Chicoutimi la principale ville du Lac St-Jean au pays de Maria Chapdelaine. Les noirs n’y courent pas les rues pour l’instant. Mais ceux que l’on rencontre en région désarçonnent les blancs. Ils sont devenus des Québécois pure laine, l’accent, les jurons liturgiques et le langage scatologique compris. Quelle surprise quand la narratrice, l’alter ego de l’auteure, entend sa fille dire avec l’intonation appropriée : « Va don chier. » (Sic) L’expression s’emploie à toutes les sauces, voire envoyer paître un importun ou pour saluer la chance d’un mardeux (quelqu’un à qui le sort profite).

Deux ans plus tard, l’héroïne emménage dans le Parc Extension, toponymie rébarbative pour désigner un quartier juxtaposé au Parc Jarry qui sépare la partie francophone de Montréal de la partie anglophone. On y note une grande diversité ethnique que composent les Grecs et leurs baklavas, les Indiens et leurs épices, les commerçants de produits de toutes les provenances du monde, les juifs aux petits boudins (hassidim) qui ont des pan shops (boutiques) de vêtements occidentaux. Ça sent le cari dans le coin. Pour un Québécois qui veut aller à l’étranger, il n’a qu’à traverser la rue Saint-Laurent. Il fera le tour du monde à bon marché. La population est accueillante quoi qu’on en dise.

Ayavi Lake décrit son nouveau quartier en long et en large à travers son personnage principal. L’œuvre se présente comme un recueil de nouvelles dont les règles sont peu respectées. Ça s’identifie plutôt à un roman. L’auteure ne semble pas familiarisée avec l’art du genre. On dirait un champ de bataille littéraire. On y retrouve de tout, un tout mal digéré. Quand même, derrière la forme erratique, on sent un fil conducteur intéressant qui mène à l’âme du migrant. Que veut-il, que devient-il ?

On sent le désir de s’intégrer. Mais l’auteure a oublié que Montréal est une ville cosmopolite ouverte à toutes les cultures et chacune soutenue par des subventions gouvernementales. Ses personnages d’identifient au monde francophone comme si ç’allait de soi. Les immigrants font face au dilemme des langues. C’est en anglais que l’on gagne sa vie à Montréal. Que l’on aime nos écrivains comme Réjean Ducharme, c’est flatteur, mais c’est le multiculturalisme qui a valeur de loi au Canada. L’ambivalence culturelle est normale en un pays d’accueil en quête d’identité. Il reste que l’on assiste à une intégration réussie d’une femme noire au pays de l’hiver comme le chante Gilles Vigneault.

Cette œuvre ne ratisse pas suffisamment la problématique qui se pose aux émigrants. L’auteure a tenté d’entraîner tout le monde dans son sillage, ceux qui veulent s’enraciner au Québec et ceux que l’on a déracinés de leur terreau comme les autochtones. La question se pose plutôt en termes de choix. Que vais-je être ? Le marabout du titre tente d'y répondre, mais en vain. Avec une technique d'écriture davantage maîtrisée, Ayavi Lake aurait pu écrire un livre fort louable. Tout est dans la manière.