Le triomphe de Thomas Zins
de Matthieu Jung

critiqué par MAPAL, le 11 juin 2019
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Roman troublant, profond.
Au bout de cent pages (et on en compte au total un millier), on s’étonne de les avoir tournées si vite sans s’être découragé, tant les situations sont répétitives et (aujourd’hui) ordinaires. Et l’impression durera jusqu’à la fin... et même au-delà... Peut-être trois raisons à cela :
• la difficulté à classer le roman. On peut certes convoquer Balzac, Flaubert, Zola, le réalisme et le naturalisme, se référer à l’Éducation sentimentale ou aux Illusions perdues (tout cela dans de justes proportions quand même…) mais non, il y a autre chose qu’on ne découvre pas vraiment et qui suscite une curiosité soutenue, et qui perdure.
• le style : particulier, très narratif mais avec des ruptures, hypnotique, bref, inventif.
• Le récit lui-même : une répétition de situations tellement désolantes que le lecteur le moins bien disposé à l’égard de la nature humaine en vient à douter que cet impossible ne puisse engendrer autre chose, à espérer au moins quelque restauration à défaut de rédemption.
On assiste impuissant (car on aurait presque l’envie d’intervenir si l’opportunité nous en était donnée) à l’appel au secours sous forme de naufrage suicidaire de la part de deux êtres que la chance pour l’un (Thomas) et les circonstances pour l’autre (Céline) promettaient à un tout autre parcours.
Sans élever le ton, sans même le dire vraiment, sans donc fâcher personne, ou du moins en laissant l’impression, l’auteur nous donne à penser les causes du désastre : le relativisme institué comme art de vivre à partir de 1981 (tiens, tiens… mais 1968 n’était pas bien antérieur), l’abolition des repères, contraintes et limites, la faillite d’un système éducatif, etc. Dans ce gâchis, les responsabilités sont multiples et les sujets de réflexion sont nombreux, et notamment :
• le rôle des parents : le père de Thomas, lui-même dépressif, est excusable. La mère (Claudine, institutrice puis « professeure des écoles »...) qui ne lâchera pas un instant son journal (« Le Monde »), ni sa revue (« Télérama »), ni son rêve de véranda, pour s’apercevoir que son fils est en détresse, serait passible de correctionnelle. Infiniment plus modestes et moins avertis, les parents de Céline, malgré leur maladresse et leurs outrances sont infiniment plus respectables.
• La totale impuissance des enseignants. Leur absence de la scène, sauf comme personnages actifs.
• Les parts respectives de l’inné et de l’acquis (combien Florence est différente de son frère, Thomas!)
• Les influences délétères, ces « détraqueurs » dont il faut savoir se garder.
• Combien une atmosphère générale, une doxa, alimentée et entretenue, qui institue ses « modèles » peut perturber des destinées personnelles.
• La fragilité des identités pendant l’adolescence et la jeune vie de l’adulte, qui devrait susciter vigilance, discernement et soutien.
• Les dangers d’un anti-conformisme devenu le pire des conformismes.
On l’aura deviné, ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains (et pas seulement en raison des pratiques sexuelles qui y sont fort détaillées...). « L’honnête homme » ou « l’honnête femme », conditions à remplir, qui s’y risqueront en sortiront ébranlés, comme je le fus.
Un très beau livre !
Exténuant! 2 étoiles

Que cela fait du bien quand cela s’achève ! D’autant plus que, avant de parvenir à la dernière page, il faut s’en farcir plus de mille ! Et tout ça, pour quoi ? Pour se retrouver tout aussi nigaud que Céline, l’un des personnages du roman, qui avoue, à la dernière ligne du livre, n’avoir rien compris à ce qui s’est passé. Il y a de quoi, en effet, avec ce roman qui ne parle pas tant du triomphe de son personnage principal, Thomas Zins, que de son irrémédiable déchéance. Si triomphe il y a, dans ce gros livre, ce n’est que très éphémèrement, le vrai sujet étant plutôt la dégringolade, voire même l’anéantissement ! C’est une sorte de Voyage au bout de la Nuit, mais sans le talent d’écrivain de Louis-Ferdinand Céline.
J’aurais certes pu m’arrêter en chemin plutôt que de persister à lire jusqu’au bout ce pavé invraisemblable et exaspérant. Mais, il est vrai que je me suis laissé prendre au commencement de ma lecture et que, du coup, j’ai voulu la mener à son terme, ne serait-ce que pour être autorisé à donner mon opinion sur cet ouvrage. Si j’ai commencé par être séduit, c’est d’abord et surtout, parce que l’action du livre se déroule, pour une bonne part, à Nancy, entre autres au Haut-du-Lièvre, que je connais bien pour y avoir passé neuf ans de ma vie, et dans d’autres quartiers parfaitement décrits. L’auteur, étant lui-même originaire de cette ville, il la décrit avec une incontestable justesse. Cela étant dit, on peut quand même relever quelques incohérences. Pour ne prendre qu’un exemple, l’usage, couramment pratiqué en Lorraine, de mettre un article devant les prénoms n’est respecté que dans une partie du roman. Pourquoi seulement dans cette partie-là ? Mystère…
Mais il ne s’agit là que d’un détail. L’auteur connaît parfaitement Nancy et c’est ce qui m’a irrésistiblement séduit au début de ma lecture. Malheureusement, mon petit plaisir de lecteur n’a fait que s’émousser au long des pages pour se transformer soit en lassitude soit en exaspération, selon les chapitres. Certes l’auteur donne à son personnage, Thomas Zins, qu’il fait évoluer sur à peu près une décennie, de 1981 jusqu’au début de 1992, des convictions politiques bien assumées et fortement ancrées à gauche. Certes, il en fait quelqu’un qui aime la culture, les arts, la littérature, la chanson (on lui pardonne de se passionner pour Renaud, mais on se réjouit de ses goûts pour Moustaki, Ferré ou pour Marc Ogeret, chanteur trop méconnu et très talentueux). Certes, il est question de sa famille (dont sont évoquées les tribulations, en Indochine par exemple, de certains membres, ce qui donne lieu aux chapitres les plus forts et les plus achevés du livre). Certes, Thomas Zins est raconté en tant que lycéen, puis en tant qu’étudiant, alternant succès et déboires.
Mais tous les sujets que je viens d’énumérer ne sont, en somme, que secondaires, dans ce roman. Ce ne sont que de fausses pistes. Car le vrai sujet du roman, le seul d’une certaine façon, c’est le sexe ! Le reste n’est qu’accessoire. La grande affaire de cet ouvrage, c’est d’exténuer le lecteur en l’assommant avec les frasques et les atermoiements d’ordre sexuel de son anti-héros. C’est, en quelque sorte, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander, mais en beaucoup moins drôle que chez Woody Allen. Ici, hormis quelques pages (très belles, d’ailleurs) qui s’autorisent à parler d’amour vrai, le reste n’est que sordide et harassant. Le roman ne traite pas tant du triomphe de Thomas Zins, comme je l’ai déjà indiqué, mais de sa descente aux enfers, de son irrémissible déchéance. Chute, disgrâce, qu’on a d’autant plus de mal à comprendre (tout comme Céline à la fin du livre) que le personnage avait tout ce qu’il fallait pour échapper à un tel sort.
On a quasiment le sentiment, au fur et à mesure de la lecture, que la grande affaire de l’auteur a été de profiter de son récit d’autodestruction pour y fourrer tous les actes sexuels de toutes natures (y compris les plus déviants), comme s’il fallait en faire le catalogue. Pourtant, au début de l’ouvrage, tout semble s’orienter de la meilleure des façons. Thomas Zins, alors élève de 2de, quoique complexé par son anatomie intime, après avoir fantasmé sur chacune des filles de sa classe, jette son dévolu sur Céline Schaller. Commence alors une grande histoire d’amour… Non, ce serait trop beau, trop simple, trop banal. Il faut mettre du piment dans tout ça ! Et puis, le but manifeste de l’auteur étant de décrire tous les actes sexuels possibles, cela ne peut s’envisager dans le cadre strict d’une classique histoire d’amour hétérosexuelle. Thomas Zins, après avoir couru le parfait amour avec Céline, se trouve bientôt en présence d’un mentor qui s’entiche de lui, un certain Jean-Philippe Candelier, homme d’un certain âge et homosexuel affiché et militant. Le voilà tout trouvé, celui qui s’ingénie à semer le trouble dans l’esprit et surtout la chair du garçon ! Et voilà de quoi remplir des centaines de pages, rien qu’en s’obstinant à raconter les atermoiements et les troubles de Thomas Zins, qui se demande s’il n’est pas un homosexuel qui s’ignore. Suis-je gay ? Suis-je hétéro ? Voilà tout l’enjeu de ce roman ! De quoi décourager le plus indulgent des lecteurs ! Tout ça farci de descriptions salaces, de pratiques diverses et variées, en veux-tu en voilà ! Le catalogue des actes sexuels, je vous dis ! Assommant, épuisant, exténuant ! Jusqu’au ridicule lorsque, par exemple, le mentor Jean-Philippe se met à fantasmer sur le personnage le plus asexué de la BD, Tintin en personne ! Faut le faire ! Je n’exprime nullement mon dégoût par un excès de pruderie. Les scènes de sexe, que ce soit dans les romans comme dans les films, je les accepte volontiers et il m’arrive souvent de les apprécier. Mais trop, c’est trop ! Le roman de Matthieu Jung, c’est un dégueulis de sexe ! Rien de très affriolant, vraiment !
Et quand il ne s’agit pas de sexe, de quoi est-il question ? D’un remake de L’Assommoir d’Emile Zola ! Thomas Zins, n’ayant pu résoudre ses problèmes intimes, malgré la présence incompréhensiblement dévouée de Céline Schaller, finit par se vautrer dans une orgie d’alcool. L’homme arrive au bout de sa déchéance, sans que le lecteur, trop écoeuré par tant d’étalage de sexe et d’ivrognerie, puisse éprouver la moindre empathie pour ce personnage. A tout cela s’ajoutent des enfilades de clichés et de partis pris qui ne font qu’accroître le déplaisir au fil des pages. Car ce que le roman insinue, à de nombreuses reprises, c’est que tous les hétérosexuels ne sont, en fait, que des homosexuels refoulés ! En voilà une révélation ! A laquelle s’ajoute un corollaire se traduisant en des relents insidieux de misogynie. Sans oublier, bien sûr, ces empêcheurs de jouir que sont les religions et leurs représentants, et, en particulier, le christianisme. Le roman ne rate pas une occasion de faire état des poncifs les plus éculés de l’anticléricalisme militant. On ne me fera pas le reproche de ne pas être moi-même très critique au sujet de l’Eglise. Mais la parfaite mauvaise foi des anticléricaux obtus répétant leurs piteux lieux communs me laisse baba ! Rien n’est plus facile que d’énumérer les méfaits perpétrés par des gens d’Eglise ! Rien n’est plus simple que de taper sur l’étroitesse d’une certaine morale ! Matthieu Jung ne s’en prive pas, prenant bien soin d’occulter la part de lumière des religions pour n’en retenir que les nuisances.

Poet75 - Paris - 67 ans - 14 août 2019