Poèmes bleus
de Georges Perros

critiqué par Septularisen, le 10 juin 2019
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
«Et que c'est tout à coup des plages de lumière noire, des ciels, des odeurs, de vieux saints, moississant dans un coin d'église, qui prennent possession de toi et déracinent un peu ta vie».
On meurt de rire on meurt de faim
On meurt pour blessure à la guerre
On meurt au théâtre à la fin
D’un drame où le ciel est par terre.

Il est cent façons de mourir
Pour vivre on est beaucoup plus sage.
Il s’agit de savoir moisir
Entre l’espoir et le fromage.

S’il est surtout connu parmi un public d’«Happy Few», pour ses «pensées» et ses aphorismes (ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/8976), Georges PERROS (1923 – 1978) se voulait avant tout poète! Un grand poète devrais-je même dire, comme nous le prouve parfaitement ce petit recueil «Poèmes bleus», son deuxième livre (Georges PERROS ne publiera que cinq livres de son vivant), écrit en 1962.

Et pourtant, il n’y a que 25 poèmes (et encore, «Ken Avo» le poème d'ouverture fait 23 pages, et «Marines» dédié à la Bretagne 44) et une centaine de pages, dans ce livre et il n’est quasiment question de deux thèmes dans tout le recueil : la Bretagne et l’amour (et pas forcément dans cet ordre là...).

La Bretagne tout d’abord, où ce grand solitaire qu’était Georges PERROS partit vivre en 1952 pour rejoindre la femme qu’il aimait. Région qu’il aimait au-dessus de tout, à la folie devrais-je dire et à qui il «rend hommage» dans ce livre de la façon qu'il maîtrisait le mieux: En poésie!

(…)
Il y a un proverbe breton
Qui dit que la poésie est plus forte
Que les trois choses les plus fortes
Le mal le feu et la tempête
Et c’est bien la poésie
Qui s’est enfoncée jusqu’à la garde
Dans la gorge de la Bretagne
De la baie du Mont Saint-Michel
À Locmariaquer
Mais qu’est-ce que la poésie
Le proverbe ne le dit pas
Elle est peut-être je m’avance
Les sables ici sont mouvants
Elle n’est peut-être
Que ce qui ne s’oublie pas
Ce qui ne se découvre que les yeux fermés
Le jour et la nuit ensemble
Derrière une porte condamnée
Qui ne peut jamais s’ouvrir
Que si on ne la force pas
Le poète est celui-là qui ne cherche pas mais trouve
Par haute fidélité
À ce qui n’existe pas (…)

(Extrait de «Marines»).

L’amour ensuite. Celui qu’il éprouva pour Tatiana (diteTania), la femme de sa vie…

Petite mort ma quotidienne
Ma folle mon tout et mon rien
Tu vis en moi fille indienne
Mon poisson d’eau douce mon lin.

Ma nouvelle mon ancienne
Ma bécassine ma catin
Ma sorcière bohémienne
Qui ne laisses chaque matin

Dans tes filets de braconneuse
Que les restes d’un cauchemar
Qui n’en finit pas d’être noir.

Mais qui parfois, ô ma peureuse
Ma téméraire, tu brandis
Comme un aigle de paradis.

C'est une poésie simple, rythmée et des poèmes qui brassent des choses simples, banales, quotidiennes, géographiques... Des fragments, des pépites d'une région. Un livre juste rempli de beauté, d’émotions, de douceur, de sentiments… Pensez-vous, un livre de poésie qui commence par un homme qui roule sur sa motocyclette, qui quitte définitivement la Seine-et-Oise pour la Bretagne, ver une nouvelle vie, vers l'amour de sa vie!..

Ceux qui suivent régulièrement mes recensions savent qu'il m’est toujours aussi difficile de parler d’un recueil de poésie… Surtout face à un livre que je finis admiratif! Ce que je peux vous dire, toutefois, c’est que, si, comme moi, vous «avez» la Bretagne dans un coin de votre cœur, si comme moi vous vous êtes pris d’affection pour cette terre au cours d’un de vos voyages, si un jour vous vous êtes dit que vous aimez la Bretagne... Alors, je ne peux que vous conseiller de lire les «Poèmes bleus»!

Vous y retrouverez tout ce qui fait la beauté de cette région du bout du monde : les hommes et les paysages, mais aussi la vie, la mort, les femmes, les enfants, l’amour, les croix, le ciel, la mer, les chapelles, les menhirs, les nuages, le vent, les tombes…
Et cela, même si vous n’êtes pas spécialement amateur de poésie, car Georges PERROS a su si bien capter, deviner, voir, retranscrire et surtout nous faire partager d’une façon très étonnante et avec une justesse qui frise la perfection l’amour qu’il avait pour cette région...

Encore? Allez, repartez donc avec moi pour une petite «promenade» en Bretagne avec un très court extrait de «Marines»...

(…)
Il y a toujours un peu de paradis
Sur notre boule terrestre
La Bretagne en a gobé une bonne partie
Et pourquoi y viendriez-vous
Vous dites qu’il y fait froid
Que ses hommes sont brutes épaisses
Qu’il y pleut quatre jours sur trois
Gens des mois de juillet et d’août
Dites, y reviendriez-vous ?
Mais ne s’y sent-on pas
Moins déserté qu’ailleurs
On s’y arrête
Au gré de je ne sais quel bon vertige
Entre la mort et la vie brève
Entre la mer et le soleil
Qui l’éclabousse en branle-bas
Quand il se lève, à l’Est, là-bas
Ensanglanté royal
Et que des feux de sa crinière
Oui l’image a déjà servi
Il secoue les yeux du jour endormi
Et les crible de sa poussière d’or massif
Quel vertige qui vient de loin
Et de tout près, que l’on peut toucher de la main
La mer est jeune, quel âge a-t-elle
Elle est ce mur horizontal
Où s’appuyer quand rien ne va
Et rien ne vas plus trop souvent
Cette béquille infatigable
Qui n’en finit pas de jeter
Sa parabole au fond des sables
Dans le cœur mat d’un coquillage
On l’entend encore chanter
Elle est terrible aussi, traîtresse
Qui ne le sait ? (…)

Le recueil de poésies «Poèmes bleus» a été lauréat du Prix Max-JACOB en 1963.