Le Bruit Court Que Je Suis Mort
de Xavier Dandoy de Casabianca

critiqué par Eric Eliès, le 9 juin 2019
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Manifeste BAa - ironique, iconoclaste et inclassable !!!
Le bruit court que je suis mort… « Je » étant Xavier Dandoy de Casabianca, l’auteur et l’éditeur de cet ouvrage qui justifierait à lui tout seul la création d'une catégorie "inclassable" sur CL, il semble bien que la rumeur soit erronée... puisqu’en ce cas ce petit livre n’existerait pas ! CQFD. En fait, en raison de ses origines corses, il est peut-être simplement maure. Et même il semblerait que l’auteur (appelons-le X/DdC même si ce pseudo ne figure pas dans la liste de ses pseudo officiels en page 42) soit en pleine forme tant cet ouvrage à la typographie foisonnante – presque délirante – multiplie les directions (livre-objet, recueil de notes autobiographiques, de poèmes graphiques, de réflexions sur l’édition, la société, la ponctuation, la langue corse, etc.), presque aussi nombreuses que les digressions et les notes de bas de page portées par un désir iconoclaste de se jouer de tout et de sans cesse surprendre le lecteur…

Le livre, fourmillant d’allusions aux différents courants qui ont cherché à ouvrir de nouvelles voies à la parole poétique pour la libérer du carcan des académismes (dadaïsme, surréalisme, grand jeu, lettrisme, oulipo, etc.), se présente comme un brouillon de manifeste inabouti. Il s'agit en fait d'une sorte de parodie de manifeste dont le premier article avoue la dispute de ses membres fondateurs et la dissolution du mouvement (intiulé "bAa" même si l’auteur - disons xddc - admet que c’est un nom assez mauvais qui relève de l’erreur de parcours). L’auteur (aussi surnommé « Dadais de la maison blanche » par une sorte de traduction approximativement littérale) en appelle à ses lecteurs pour qu’ils tranchent le litige par leurs votes, même si le procédé a malheureusement déjà été pris par la Star Académie… Néanmoins, le manifeste ne s’achève pas à l’article premier et se poursuit donc à l’article 2, qui stipule que le présent manifeste ne contiendra que les articles impairs et que les articles pairs feront l’objet d’un second volume. Le manifeste s’achève à l’article 19, dont il vaut mieux en fait ne pas tenir compte pour une obscure raison raturée par l’auteur parce qu'en fait, non, c'est plus compliqué que ça...

La couverture et le quatrième de couverture sont à l’image de l’ouvrage, qui part dans tous les sens et suscite constamment le sourire. Mais je me suis forcé de ne pas rire afin de pouvoir bénéficier de l’offre de l’éditeur qui s’engage (page 38) à me rembourser deux fois le prix du livre (17.001 centimes mais je ne serai pas mesquin et lui ferai cadeau des décimales !) si je ne ris pas quand lui s’amuse comme un petit fou avec la mise en page, en soulignant les défauts et en parsemant le texte de publicités et de petites annonces à la "Erik Satie". On pourrait dire aussi à la Fluide Glacial tant l’auteur semble prendre un plaisir presque jubilatoire à multiplier les ratures et les gribouillis dans la marge, et ne recule pas devant le scabreux comme cette présentation d'essai de typographie en caractères porno-scato !

Toutefois le livre ne se limite pas à un délire gratuit, qui aurait pu être un peu vain. Il y a, disséminées dans l’ouvrage, des réflexions pleines d’ironie douce-amère sur la vie, la naissance de sa vocation d’éditeur et l’état du marché soumis à la publicité. Ainsi, on trouve aux pages 30-31 une sorte de lettre ouverte adressée à son épouse (mais ironiquement présentée comme un fond de tiroir) :

Oui, cela vaut la peine, chérie. (…) Aussi vais-je jeter mes dernières forces dans la bataille pour la micro-édition. Car, oui, je suis devenu éditeur. Tout a commencé en 1969 quand je suis né. (…) En 1994, je fonde une entreprise de graphisme et d’édition et deux ans après j’en suis à 10000 € de pertes. Seulement ! Moi, je ne me plains pas parce que certaines entreprises, pendant la même période, ont fait des pertes de plusieurs millions d’euros et des centaines de licenciements. Moi, je suis toujours non-chômeur avec un salaire de moins de 300 € par mois en moyenne. C’est 1400 € de moins que le Smic mais je suis PDG d’une entreprise, la classe ! (…) Quand j’ai commencé mes études, j’ai parié sur les nouvelles technologies, plutôt que de faire de la gravure ou de la peinture. Pari gagné : peu après j’en ai plus rien à foutre des technologies et des cédéroms, image de synthèse 3d – vidéo – internet, ça me fait gerber : je ne m’intéresse qu’au livre. Maintenant, je suis un artiste beaucoup plus conceptuel que ce que le monde de l’art n’a jamais enfanté, je crée la mode mondiale des années futures, je crée des entreprises culturelles déficitaires (et c’est en pressentant cela que le jury des Arts déco m’a mis sur la deuxième place du podium). Je suis un mutant du deuxième type, dont le terrain est sa propre vie. Que faire ? Teindre l’herbe en rouge ? Difficile d’être plus à gauche, moins capitaliste…