Partition
de Louise Ramier

critiqué par Débézed, le 24 mai 2019
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Initiation
A La Nouvelle Orléans, comme le veut la tradition, j’ai caressé le pied de la statue de Louis Armstrong dans le parc qui porte son nom mais, contrairement à ce que dit la tradition, je ne suis pas devenu meilleur musicien pour autant. Vous voudrez donc bien excuser mes propos s’ils ont un peu approximatifs à propos de la « partition » que les Editions Louise Bottu proposent, en ce printemps, à notre lecture. « partition », c’est un texte écrit en deux parties, deux portées, une pour la mélodie et l’autre pour l’accompagnement. La mélodie c’est l’histoire racontée par un enfant qui partage sa vie avec sa grand-mère, l’accompagnement ce sont les commentaires que l’auteur ajoute après chaque chapitre avec, en prime, un intermezzo.

L’enfant, une fillette ? un garçonnet ? je ne sais, son âge ? « il change tout le temps… ». On sait seulement qu’il partage sa vie, au moins une partie, avec sa grand-mère qui réside au-dessus d’un bistrot dont les remugles laissent un souvenir impérissables dans les narines de l’enfant. La grand-mère, elle commence un peu à radoter, ou alors, c’est l’enfant qui ne comprend pas ce qu’elle raconte, qui ne connait pas son langage, les mots qu’elle emploie. Il raconte ce qu’il voit car il ne croit pas trop ce que la grand-mère raconte, les histoires qu’elle voudrait lui conter. « … les histoires sont toujours bidon, on invente, on s’invente, on y croit, mais dans la cuvette pas question d’histoires, … ». Il n’a confiance qu’en son œil mais depuis qu’il l’a découvert dans la cuvette des WC, il se méfie. Par, « Une nuit chaotique, une nuit agitée, tout qui tourne et l’envie de vomir mais ça ne vient pas. Le tournis s’éternise et la position. A genoux, les avant-bras sur la lunette, …, la tête enfouie dans la cuvette je vois le visage et dans le visage l’œil, l’œil dans le reflet qui fixe mon œil. » Comme l’œil de Cain dans la tombe.

L’accompagnement, c’est ce que l’enfant emmagasine lors de ses très longues stations dans les toilettes où il lit tout et n’importe quoi, la liste figure à la fin du récit, le Petit Robert, des romans, des magazines, des revues, des textes divers. Une somme de lectures impressionnante qui lui inspire des réactions ou des réflexions sur ce que la grand-mère lui raconte, des remarques qu’il note les unes après les autres sans qu’il y ait une réelle relation entre elles, juste des notes pour éclairer son propos, pour préciser sa pensée.

Cette partition c’est la vie d’un gamin dans une campagne des années cinquante ou soixante dans un confort très rudimentaire, un confort que j’ai connu moi aussi dans ma campagne. Mais, lui il vivait avec une vieille femme qui n’aspirait à aucune modernité et l’enfermait dans les vieilles histoires qu’elle lui racontait, des histoires de son temps révolu, le gamin est convaincu qu’elles ne racontent que du vent. « … ce n’est pas vrai qu’on colle à la réalité en disant ça raconte des histoires, ça se saurait si les mots collaient à la réalité, les mots collent à langue et des lèvres au réel la distance n’est pas grande, elle est infranchissable, et puis le réel, rien qu’un mot, un mot comme un autre, le poète dit le respecter sans y avoir jamais cru mais bon… ». L’auteur se livre à une réflexion sur la fiction, sur la réalité qu’elle transgresse ou qu’elle dévoile derrière les mots qu’elle détourne, c’est au lecteur de débusquer la vérité dans les méandres d’un texte déconstruit, délayé, condensé, … selon l’inspiration de l’auteur.

Peut-être que la grand-mère, elle a connu Jean dont Louise Bottu a déjà raconté l’histoire en plusieurs épisodes mais ça ce n’est qu’une histoire encore et on sait bien que « … les meilleures histoires finissent par lasser heureusement la cuvette et dans la cuvette l’œil, un reflet frissonnant, un reflet troublant sinon quoi, que faire d’autre … ». Elle radote un peu, elle raconte des histoires peu vraisemblables, elle est un peu rude, la grand-mère, mais l’enfant ne peut dissimuler la tendresse qu’il éprouve pour cette vieille femme qui a contribué à construire l’homme qu’il est devenu.