Le mystère Lagerfeld
de Laurent Allen-Caron

critiqué par Krysaline, le 22 avril 2019
(Paris - 58 ans)


La note:  étoiles
Une biographie très réussie
Ce livre est arrivé sur ma liseuse quasiment en même temps (à quinze jours d’intervalle) que l’on apprenait la mort de Karl Lagerfeld. Opportunisme ? Certes non, puisque l’ouvrage avait été préparé bien en amont. L’auteur avait d’ailleurs consacré auparavant un documentaire sur le couturier : « être et paraître » pour l’émission de Laurent Delahousse « un jour, un destin » que je vais tenter de visionner au plus vite, tant le sujet a piqué ma curiosité !

Ce travail remarquablement bien documenté est essentiellement composé de témoignages d’amis et de proches qui l’ont côtoyé d’assez près pour donner quelques détails sur sa vie personnelle et intime. L’auteur se livre à une interprétation de certaine de ses « poses », ces « attitudes » et nous invite à entrer dans les coulisses de la Légende…

Alors, comme tout un chacun j’imagine, j’ai bien sûr entendu parler du « Pape » du prêt-à-porter de luxe. J’ai en tête son look particulier avec son catogan poudré, son accent typé au débit d’enfer, et son aura dans le milieu de la mode. Mais je ne me suis jamais intéressée de près à cette personnalité ni vraiment documentée à son sujet. C’était donc le moment de combler cette lacune ! Le livre qui « tombe à pic », quoi !

On apprend beaucoup de détails dans ce livre de Laurent Allen-Caron sur le personnage de Lagerfeld et sur sa vie. L’auteur ne fait pas de « révélations » fracassantes et ne donne pas dans le « sensationnel » à la « Voici » mais aborde les principaux évènements « factuels » qui ont jalonné la vie de ce styliste et dessinateur de génie. Son enfance en Allemagne, ses parents, sa mère surtout (Il donnait une image de sa mère, stricte à l’extrême, égoïste et dure mais qu’il respectait et admirait profondément. Une image que l’on suppose trop exagérée, une description dont il aurait forcé le trait à l’extrême), sa venue à Paris, ses débuts, son ascension dans le milieu de la mode, Chloé, Chanel donc il était le directeur artistique, Fendi puis sa marque « KL » et bien d’autres (une vingtaine de marques en tout).

Mais l’auteur s’attache surtout à nous décrire l’homme qu’était Karl, ses peurs, ses obsessions, ses antagonismes, son amour et sa fidélité pour Jacques de Bascher, son amitié avec YSL qui s’est tournée en concurrence et presque à l’affrontement puisque ce dernier était tombé amoureux de l’amant de Lagerfeld… Et Bergé n’appréciait pas, mais alors pas du tout !

L’auteur souligne la rigueur extrême dont faisait preuve le couturier, la solitude de ce « bûcheur » infatigable. Cet homme qui s’enfermait dans sa tour d’ivoire même s’il se mêlait volontiers à la vie turbulente et « tape-à-l’œil » de sa bande d’amis dans le milieu interlope de la Jet-Set. On note qu’à l’abri de ses lunettes noires il était plus spectateur qu’interprète.

En se servant des détails de la vie du couturier, l’auteur nous raconte comment Lagerfeld a entièrement « construit » son image avec divers accessoires (les célèbres lunettes noires, l’éventail, les bagues, les mitaines en cuir) et entretenu par des propos très vagues et volontairement énigmatique (comme sa date de naissance, toujours inconnue - ses biographies commencent toutes par : « probablement né… ») et le mystère entretenu autour de son enfance en Allemagne nazie.

Cet homme à la créativité débordante, voulait vivre constamment dans le présent mais dans un décor du passé, dans une époque qui n’existait plus, une époque à jamais perdue. Il s’est d’ailleurs attaché à reconstituer dans ses différentes propriétés, l’atmosphère de l’entre-deux-guerres dont il semblait être nostalgique. Une de ses contradictions la plus frappante.

Laurent Allen-Caron nous raconte comment KL a façonné sa « légende » et a trouvé une façon de laisser une trace après lui en créant le « Mythe Lagerfeld » de toutes pièces. Cette icône de la mode a tout au long de sa vie orchestré et soigneusement mis en scène des zones d’ombres réelles ou inventées de manière à exercer une certaine fascination sur les autres. Sa vie suscite en effet, nombres d’interrogations sans réponses et a fait naître de folles rumeurs… Cabotin à souhait, ça l’amusait énormément de brouiller les pistes et de laisser planer des équivoques qui alimentaient les potins mondains et les suppositions qui ne manquaient pas de fleurir dans les tabloïds … Il réécrivait sans cesse son histoire au gré de sa fantaisie…

On découvre surtout dans ce livre, au détour des phrases, un être très sensible et terriblement « humain » qui voulait surtout se forger une carapace et qui ne dévoilait pas son regard de peur de paraître « trop gentil ».

Alors, avec cette armée d’artifices qu’il déployait pour tenter de paraître « différent » on se pose la question : que retiendra-t-on du « Kaiser de la mode », qu’aura légué ce « roi » de la confection de luxe, à la postérité ? Des fabuleuses « collections » haute-couture et surtout, une « silhouette » unique et à jamais célèbre dans ce milieu, lui qui n’a pour seule héritière, que sa chatte « Choupette » !

Alors, ce livre est un succès total pour moi car il répond à deux de mes critères principaux pour en faire une lecture réussie : m’apprendre quelque chose de nouveau [le monde de la mode] et faire que je cherche à approfondir le sujet en visionnant des vidéos et lire d’autres livres sur le personnage de Karl…

Un grand merci donc aux éditions Fayard et @NetGalley pour cette découverte plus qu’intéressante !