Paul, Je M'Appelle Paul
de Lorenzo Cecchi

critiqué par Kinbote, le 6 mars 2019
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Variation romanesque sur VDB
Qui, mais qui… se cache sous ce prénom de « Paul « ? En fait, VDB! Pas le coureur cycliste mais l’homme politique qui a marqué la vie politique belge de son temps.

Lorenzo Cecchi s’inspire de quelques faits seulement de ce personnage emblématique ; il nous raconte bien plus l’homme privé que l’homme public en prenant de larges libertés romanesques avec la vérité, ce qui donne tout son sel et sa spécificité à l’ouvrage. D’ailleurs, ne nous y trompons pas, son VDB se nomme Van Derbrug.

D’emblée, l’auteur supposé du livre qu’on lit, journaliste culturel, est appelé à rencontrer VDB peu avant sa mort. On est en 2003 à Bruxelles. En se basant sur son témoignage, il va écrire le récit atypique de sa vie intime mais « traité comme une fiction », un récit qui ménagera une révélation ultime sur le lien unissant les deux hommes…

Quand il a neuf ans environ, la famille de Paul meurt des exhalaisons du CO, victime d’un mauvais tirage de cheminée à leur domicile. L’enfant, seul rescapé de l’accident, est confié à la garde de sa tante qui tient un bouge, quasi familial, à Liège. L’enfant y trouve un semblant de refuge et d’affection. Du fait de son environnement familial, il sera volontiers traité de « fils de pute ». Il ne connaîtra, pour ainsi dire, qu’une femme marquante qui sera à la fois une mère, une maîtresse, une sœur, en tout cas un soutien précieux dans les diverses étapes de son ascension sociale et politique et dont il nous est livré un portrait touchant.

Le rapt dont sera l’objet Van Derbrug à la fin de sa vie est l’occasion pour l’homme de se retourner sur son existence. Cet épisode offre de très belles pages sur les interrogations d’un homme à l’aube de la vieillesse à propos de la perte d’un fils, la vie de couple au long cours, l’approche de la mort ou encore le pragmatisme de la politique.

« Je le répète, car c’est ma conviction profonde, l’homme bon c’est du pipeau. Qu’il soit possible de le rendre meilleur, par le travail sur soi, par la civilisation, en somme, relève, en ce qui me concerne, du mythe le plus stupide qui se puisse concevoir. La cause est désespérée. J’ai abandonné la carrière politique pour cette raison. Même si, au début, je m’y suis lancé sans grande conviction, par opportunisme mercantile, j’avais fini ensuite par me prendre au jeu et croire que j’étais investi d’une véritable mission, que m’occuper de la res publica, du bien de mes concitoyens était noble et de haute cause. Mais, avec le temps, force m’a été de constater que se casser le cul pour améliorer le sort de milliers d’abrutis est tâche proprement impossible et qui s’y emploie, sera critiqué, méprisé même, quoi qu’il fasse, l’ingratitude étant le seul retour sur investissement que l’homme public puisse espérer. »

Dans ce nouveau beau roman qui présente des accents de polar et peut parfois faire penser aux romans romans de Simenon, Lorenzo Cecchi mêle habilement des éléments imaginaires à des fait réels et la magie prend toujours. La phrase s’accorde aux méandres de la réminiscence ou de la narration. Cinglante et souple à la fois, sans un mot de trop, elle rend parfaitement compte des vicissitudes du personnage qui se raconte sans faux-fuyant avec des élans de sincérité qui touchent d’autant plus qu’on devine que l’auteur les a puisés en partie dans son cœur et son propre parcours. Lorenzo Cecchi sait comme peu d’auteurs se mettre dans la peau de ses personnages et nous les faire exister de l’intérieur. L’action de ses récits et nouvelles s’articule autour de valeurs humaines fortes qui en sont le pivot comme le moteur.

Nul doute qu’à l’instar de Flaubert revendiquant l’identité du personnage d’Emma, Cecchi doit s’être vraiment dit pendant l’écriture de cette autobiographie fictive particulièrement réussie : « Paul, je m’appelle Paul. »