L'Ukraine, une histoire entre deux destins
de Pierre Lorrain

critiqué par Débézed, le 5 mars 2019
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Histoire d'une nation divisée
Près de trente ans après son indépendance, l’Ukraine n’a toujours pas trouvé la paix, la stabilité et la prospérité qui devrait faire de ce pays, l’un de plus étendus et des plus riches d’Europe, une nation moderne, prospère et puissante. Il est resté le chaudron en perpétuelle ébullition qu’il est depuis plus de mille ans au cœur de l’Europe là où se sont rencontré toutes les grandes puissances qui s’affrontent depuis plus de deux millénaires : Scythes, Sarmates, Grecs, Romains, Byzantins, Tatars, Cosaques, Ottomans, Varègues, Russes, Polonais, Suédois, Lituaniens, Austro-hongrois… Aucun de ses peuples n’a pu imposer sa loi avec sa paix, comme l’ont fait les anglophones aux Etats-Unis et au Canada ou les Russes en Russie ou d’autres ailleurs encore… En parcourant l’histoire de cette région depuis le néolithique, Pierre Lorrain veut nous faire comprendre pourquoi cette immense étendue n’est jamais réellement devenue une nation et reste encore aujourd’hui dans un équilibre instable entre l’Union européenne et le la Russie héritière de l’Union soviétique.

Dans cette vaste étude de plus de six cents pages comportant glossaire, notes, index, chronologie, bibliographie, tous : lecteurs passionnés, historiens amateurs, érudits, étudiants, universitaires et même simples curieux trouveront des réponses à toutes les questions qu’ils se posent sur l’histoire et le devenir de ce vaste territoire où se jouent depuis des millénaires, et pour longtemps encore, des enjeux stratégiques pour l’Europe et même pour le monde entier. Pour écrire cette étude, Jean Lorrain a accompli un phénoménal travail de recherche bibliographique et un énorme travail d’analyse avec une vision la plus objective possible. Il y a tellement d’intérêts divergents qui se sont exprimés, et qui s’expriment encore, sur ce territoire qu’il est bien difficile de savoir où placer le curseur de l’objectivité, il m’a semblé cependant que Pierre Lorrain a toujours été attentif à ne pas se laisser influencer par un quelconque mouvement de pensée, une quelconque religion ou idéologie, un quelconque intérêt…

L’auteur consacre une partie très importante de son propos à l’histoire récente de l’Ukraine, celle qui a formaté l’Etat que nous connaissons aujourd’hui, incapable de se structurer en une nation cohérente et unie ou plus simplement en un peuple rassemblé autour d’un projet national commun. La fameuse ligne matérialisée par le Dniepr qui séparait déjà les Cosaques à la fin du Moyen-Age entre ceux qui devait composer avec les puissances occidentales et ceux qui devaient résister aux pressions venues de l’Est, est toujours très concrète dans les urnes. « Pendant plus de vingt ans, depuis l’effondrement cataclysmique de l’Union soviétique et son indépendance, en 1991, l’Ukraine a été un tel volcan. Les signes indiquant qu’une éruption majeure allait se produire se sont accumulés au fil du temps devenant de plus en plus importants, plus rapproché. ».

La division l’ayant emporté sur l’unité, l’émiettement politique a provoqué la naissance de multiples forces qui se sont opposées pour ravir le pouvoir et les intérêts qui y sont attachés. Comme aucune force politique ne pouvait durablement imposer une quelconque loi, des individus peu scrupuleux en ont profité pour accaparer les richesses du pays, et elles ont énormes, avec en prime les aides très conséquentes accordées par des organismes internationaux, d’autres nations, de généreux donateurs plus ou moins intéressés et d’autres encore… Ainsi est née une caste d’oligarques et de ploutocrates qui n’ont aucun intérêt à ce que le pays s’organise autour d’un projet cohérent et juste. Ils ont fait de l’Ukraine leur jungle où ils s’ébattent, et se battent, comme des grands fauves à coup de milliard de dollars en une joute monumentale que l’auteur décrit avec grande précision.

Pierre Lombard a parcouru tous les chemins qui ont constitué l’histoire de l’Ukraine, il a montré l’hétérogénéité de ce peuple aujourd’hui écartelé entre deux grandes forces, il a mis en évidence tous les intérêts concurrents ou antagonistes qui dressent les populations les unes contre les autres. A la fin du mois, l’Ukraine devra procéder à une nouvelle élection, celle de son président de la république, gageons qu’une nouvelle fois, les urnes mettront en évidence la large fracture qui sépare le pays en deux parties que tout oppose. L’auteur laisse peu d’espoir, l’histoire pourra se répéter encore longtemps si un changement radical n’intervient pas et il est bien difficile de savoir qui pourrait provoquer ce changement et qui y aurait intérêt.

Je laisserai ma conclusion à l’auteur : « Ne faudrait-il pas plutôt parler de tentations entre deux destins opposés et même, pour l’heure, antagonistes, chacun dicté par une vision idéalisée d’intérêts particuliers plutôt que du bien commun ? ».