Mémoires d'une reine de Corée
de Dame Hong

critiqué par Fanou03, le 5 décembre 2018
(* - 48 ans)


La note:  étoiles
La folie du prince Sado
Dans la préface qu'il consacre à Mémoire d’une reine de Corée, Marc Orange, spécialiste de la littérature coréenne, se demande si cette œuvre est à classer parmi les romans. Même s’il y a des raisons, on le verra, pour que cette question se pose, stricto sensu il n’en est rien. Le texte en effet n’est pas une fiction. C’est bel et bien un témoignage historique de première main, même s’il est à prendre évidemment avec tout le recul requis, eu égard à la position de Dame Hong et du temps écoulé (plus de trente ans) entre les faits évoqués et le moment de leur transcription sur le papier.

L’autrice, Dame Hong, est l’épouse du prince Sado (1735-1762), héritier du Royaume de Corée. Les difficiles relations du prince, d’un caractère fragile, avec son père, l’intransigeant roi Yongjo, déclenchèrent chez le jeune homme ce qui ressemble fort aux symptômes d’une maladie mentale (monomanie, névrose…). Lassé des « fantaisies », parfois sanglantes, de son fils, le roi dut se résoudre à le mettre à mort, avec tout l’horrible raffinement dont certaines époques sont capables. Dame Hong, des dizaines d’années plus tard, veut, à travers ces mémoires, rédigées à l’intention de son propre petit-fils, défendre un certain point de vue sur cette tragédie. L’intérêt de ce texte est donc à première vue essentiellement historique, voire sociologique. Au-delà de l’épisode dramatique de la folie du prince Sado, c’est la vie à la cour royale de Corée au milieu du XVIIIe siècle qui nous est contée : les pesanteurs de l’étiquette, l'isolement de la cour par rapport au reste du monde, les complots, les manipulations, les luttes d’influences, font que cette cour royale n’a sans doute rien à envier, étrange convergence évolutive, à celle d’un Louis XV à Versailles à la même époque !

Mais si le texte est parfois considéré comme un roman, ce n’est pas par hasard. Il est en effet d’un intérêt littéraire indéniable, exprimant l’intériorité d’une femme. Ce ne sont pas tout à fait des « confessions » ou des « confidences », mais c’est loin, malgré sa grande sobriété, d’être le récit un peu froid d’un historien de profession : malgré la pudeur culturelle et les carcans sociaux inhérents à son époque, on sent poindre constamment une émotion certes contenue mais nettement palpable, renforcés par le fait que Dame Hong s’exprime à la première personne du singulier.

Le récit est tenu par deux lignes de force : au drame individuel répond la raison d’État. D’un côté l’attachement que portent Dame Hong et sa belle-mère au prince Sado ainsi que leur tristesse de le voir entraîner dans une violente déliquescence mentale; de l’autre la question politique, celle de la pérennité de la dynastie et de la stabilité de l’État, mises en péril par la folie du prince, qui vient comme un ombre, planer assez rapidement sur le destin de l’héritier et de sa famille. L’analyse psychologique des relations entre le Prince et son père est également un point sur lequel Dame Hong s’attarde longuement, essayant de comprendre avant de condamner. Cet épisode de l’histoire de la Corée pourrait n'être finalement pour nous, lecteur européen, qu'un point assez anecdotique. Il prend en fait une toute autre dimension, à travers les sentiments et la souffrance de Dame Hong et son constat désespéré de la cruauté du monde.