Les dupes
de Jean Dutourd

critiqué par Débézed, le 30 octobre 2018
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Pas croyable
Jean Dutourd, pour moi, c’est le souvenir de « Au bon beurre » un texte lu vers la fin de mon adolescence, un texte dont j’ai gardé un bon souvenir et pourtant j’ai, comme toute une génération, vers la fin des années soixante, tourné le dos à cet auteur. Quand la jeunesse battait le pavé derrière diverses banderoles prônant de multiples idéologies différentes, il n’était pas de bon ton de lire Dutourd traité de réactionnaire « facho » par cette génération en ébullition. Il est donc, aujourd’hui, tout à fait opportun de revenir vers cet auteur et de constater ce qu’il a voulu dire dès la fin des années cinquante à ceux qui déjà allumaient la mèche qui allait jeter toute une génération dans la rue.

« Les Dupes », c’est un recueil de trois nouvelles qui veut faire comprendre aux lecteurs que tous les systèmes de pensée ou de croyance, toutes les idéologies, religions, superstitions, inventés par les hommes finiront par butter sur des réalités bien concrètes et difficiles à contourner. Ainsi le pauvre Baba, totalement à l’écoute de son maître en philosophie veut mettre en œuvre les théories qu’il a apprises en participant à la guerre d’Espagne du côté des Républicains. Malgré sa forte volonté et son engagement derrière les théories de son maître, il butte rapidement sur la perversité humaine et les aléas d’une vraie guerre pleine de rebondissements et d’imprévus.

Dans la seconde nouvelle, Dutourd créé un révolutionnaire allemand, Schnorr, venu à Paris pour participer à la Révolution de 1848, qui s’en prend aux Français incapables de conduire la moindre révolte car incapable de suivre une idéologie claire et d’appliquer une théorie définie a priori par des penseurs éclairés. Schnorr écrit des lettres à Bakounine pour dénoncer cette incapacité et rencontre même Lamartine et Hugo pour leur dire combien leur révolution est vouée à l’échec. A travers les bouillonnantes activités de ce personnage, Dutourd, lui, cherche à démontrer la puérilité et vaineté de toutes les théories qu’il veut mettre en œuvre.

Dans la troisième nouvelle, Emile Tronche affronte le diable et refuse de céder à sa tentation, il croit en ce qu’il voit et ne veut pas céder aux sirènes de ceux qui promettent, pas plus qu’aux menaces de ceux qui effraient. C’est le sage qui aurait tiré les leçons des deux autres nouvelles admettant que la vie ne soit pas forcément un long fleuve tranquille, ce qu’il faut savoir accepter sans forcément croire à un bien hypothétique grand soir.

Boudé, décrié, critiqué, voué aux gémonies pendant les années soixante et soixante-dix, Jean Dutourd n’avait peut-être pas totalement tort, avec cette réédition de « Les Dupes » chacun pourra se faire une opinion. Il avait déjà bien compris que ceux qui défilaient sous les bannières de toutes les idéologies en « isme » ou se réfugiaient dans des croyances, superstitions ou religions manipulées par des gourous, grands prêtres et autres sommités adulées étaient les vraies dupes. « La vraie dupe est dupe de soi, dupe de ses idées, de ses sentiments, de la fausse conception qu’elle se forge de la vie et des hommes. » Et peut-être aussi de sa trop grande confiance en ceux qui croient détenir la formule magique pour améliorer la marche du monde.

A travers ces trois nouvelles, et en considérant l’histoire de la fin du XX° siècle, force est de constater que de nombreuses idéologies et croyances se sont éventées et qu’il aurait peut-être fallu savoir raison mieux garder ? Nous ne le saurons jamais, on ne réécrit pas l’histoire. « La raison explique tout, éclaire tout. Mais une fois tout expliqué et tout éclairé, on est Gros-Jean comme devant. » Et si ce recueil était déjà une leçon de résilience ? Et une leçon adressée à tous les philosophes de télévision qui veulent sans cesse refaire le monde ?