Le paradoxe d'Anderson
de Pascal Manoukian

critiqué par Nathavh, le 30 septembre 2018
( - 59 ans)


La note:  étoiles
Le paradoxe d'Anderson
C'est un roman social que nous propose Pascal Manoukian en cette rentrée littéraire.

Direction l’Oise, Essaimcourt.

Une famille unie, Christophe et Aline, la quarantaine, deux enfants; Léa 17 ans qui prépare son bac socio-économique, Mathis atteint d'une étrange maladie ( il est fragile et a besoin de soins).

Ils ont acheté à crédit une petite maison. Ils vivent modestement en construisant une belle unité familiale.

Christophe travaille comme contremaître chez Univerre, usine construite sur les anciennes terres agricoles de son enfance - vendues par son père à l'époque pour joindre les deux bouts.

Aline dont tout le village se souvient de Staline - le surnom de son grand-père Léon - est ouvrière dans une usine de textile.

Ils sont heureux mais leur bonheur est précaire. Un rien peut tout faire basculer comme à d'autres, leurs voisins par exemple qui licenciés par SMS avaient dû vendre leur maison pour une bouchée de pain.

Léa révise activement pour décrocher son bac. C'est vers elle qu'ils portent tous leurs espoirs, un diplôme pour sortir de cette spirale, lui permettre d'accéder à une autre vie.

Un matin en arrivant au travail chez Wooly, les machines les plus modernes, les plus performantes ont disparu, dont celle d'Aline qui se retrouve sur le carreau. Quelques semaines plus tard, chez Univerre rien ne va plus, on parle de délocalisation et une grève sera entamée. C'est un tsunami social pour Aline et Christophe qui veulent à tout prix faire comme si de rien n'était pour protéger les enfants et permettre à Aline de vivre l'année de son bac sans soucis.

Le décor est planté. Quelle claque !

Une fois encore, Pascal Manoukian me touche, il me bouleverse car quelle empathie dans son écriture. Il trouve les mots justes et nous fait ressentir ce que de nombreux travailleurs vivent ou ont vécu suite à une délocalisation ou fermeture d'entreprise. Comment en quelques regards, la caissière du supermarché peut décrypter qui a reçu sa prime de licenciement par exemple.

Il nous parle du monde ouvrier, de sa précarité, de mondialisation, de délocalisation, de déclassement et fractures sociales. Des dérives du capitalisme, du fossé énorme entre les deux classes sociales, patron et ouvrier. De la course au profit et du prix à payer.

L'écriture est fluide, aiguisée, puissante, juste, acérée. Les mots sont bien choisis, une petite pointe d'humour noir voire de cynisme nous délivre la détresse du monde ouvrier. C'est réaliste, noir, poignant.

On suit un peu comme un journal, mois après mois, la vie de cette famille qui s'enlise peu à peu et essaie de trouver des solutions pour éviter le déclassement social.

Un livre à lire de toute urgence.


Ma note : coup de ♥


Les jolies phrases

Essaimcourt a la beauté de ces arbres presque morts, chaque feuille est un miracle et vient apporter sa tache de vie là où celle-ci a presque disparu.

La terre reste mais les usines partent.

Vous la connaissez cette terre, bon sang ! Vous l'avez travaillée durement. Elle est belle, grasse, généreuse. Ils vont lui arracher les entrailles, la castrer, la rendre stérile, la bétonner. Elle vous a toujours nourris. Les usines, elles, ne poussent qu'une fois et n'engraissent que ceux qui les possèdent.

L'innovation inventait perpétuellement de nouveaux emplois qui en s'imposant, détruisaient les anciens, à terme, le solde entre postes créés et postes supprimés devait devenir positif.

C'est comme ça, à peine fini d'élever ses enfants, il faut déjà s'occuper des parents.

Aline vient de comprendre la mondialisation : c'est lorsque son travail disparaît dans un pays dont on ne connaît rien.

Plus les parents ont peur du déclassement, plus ils poussent leurs enfants à entreprendre des études, mais plus les enfants accumulent les diplômes, moins ils trouvent du travail correspondant à leur niveau.

Vivre sans usines, c'est vivre sans poumons. C'est par là qu'un pays respire, les gars. Sans elles, il s'essouffle, contraint d'être en permanence sous assistance. La désindustrialisation, c'est le cancer.

La mémoire est comme un buvard entre deux pages de cahier, elle ne garde que des traces. Des mots sans importance, des moments de rien.

C'est la faiblesse des pauvres et des petits de s'accrocher à l'existence, si médiocre soit-elle. S'il suffisait d'abandonner pour se libérer des souffrances, il n'y aurait pas autant de misère.

Les donneurs d'ordre ne savent même pas qu'ils existent. Ils suppriment des postes, en rajoutent, en transfèrent, en fusionnent, derrière leurs écrans, les yeux rivés sur le SIG, le REX, le EBE, le EBIT. Ce sont les seuls noms qu'ils prononcent dans leur espéranto boursier, les autres n'existent pas, Sandra, Magali, Christophe et Cindy ne rentrent pas dans leurs tableaux Excel, ou alors en soustraction.

Depuis, comme un cyclone, le chômage a déforesté sa vie, plus un de ses arbres ne tient debout, on dirait les montagnes pelées d'Haïti, rien pour arrêter l'érosion, personne, un Sahel affectif.
La vague scélérate 8 étoiles

Le paradoxe d'Anderson est un paradoxe empirique selon lequel l'acquisition par un étudiant d'un diplôme supérieur à celui de son père ne lui assure pas, nécessairement, une position sociale plus élevée.
Manoukian crée ici un monde dont la noirceur est effrayante, mais cet univers imaginé par l'auteur est le nôtre et c'est bien là que l'affaire devient inquiétante.
Il nous est décrit une vue bien dégagée sur les usines vides, comme ça quand celui qui va pointer au chômage passe devant ce paysage décharné, il se jure que que la prochaine fois qu'il trouvera de l'embauche il fermera sa gueule !
Connaissez-vous l'histoire de l'écureuil roux ? Il pèse à peine trois cents grammes et n'a pratiquement aucune réserve de graisse. Il doit constamment calculer combien il perd d'énergie à chercher de la nourriture et combien il en gagnera à la trouver. Il n'a aucune marge d'erreur. Tour ce qu'il mange il le dépense. C'est comme l'ouvrier, on le prive un jour et on le met en danger.
Et puis un jour sont venus les écureuils gris d'Asie. Plus dociles, résistants, durs au mal et mangeant un peu n'importe quoi... la suite se devine aisément ! Ils ont tellement proliféré que les roux maintenant ont du mal à se nourrir.
Alors Aline, Christophe, Léa et son petit frère qui a déjà tant de mal à respirer vont traverser cette mer agitée. Les marins le savent, il existe une vague à laquelle rien ne résiste. On la nomme la scélérate.
Bonne chance, hissez haut !

On retrouve le style particulier de Pascal Manoukian. Les mots au service d'un thème. Un roman difficile. J'ai pensé que Thomas B. Reverdy avait abordé le sujet dans IL ETAIT UNE VILLE avec plus de sensibilisé.
A lire un jour de grand vent quand on se sent parfaitement en équilibre.

Monocle - tournai - 64 ans - 4 février 2020


A découvrir 10 étoiles

"Le paradoxe d'Anderson" de Pascal Manoukian (295p)
Ed. Seuil.

Bonjour les fous de lectures ...

ATTENTION... Pascal Manoukian nous a sorti, une fois de plus, UNE PERLE....

Plantons le décor:
Dans la famille, je demande les parents, Aline et Christophe, tous deux ouvriers.
Elle est tricoteuse dans une grande manufacture, lui fabrique des bouteilles, il sue devant les fours pour transformer le sable en verre.
Il y a ensuite les enfants, Léa et Mathis.
Léa prépare le Bac ES et est toute à sa jeunesse, son petit frère est de santé fragile.
Tout ce petit monde vivote dans le nord de la France, vie simple, rythmée par les crédits, dans une région qui se meurt.
Jusqu'au coup de grâce où les deux industrie se décident à délocaliser.
C'est le début de la descente aux enfers....

Quelle claque que ce livre !
Mené de main de maître.
L'écriture nerveuse nous plonge en apnée dans le monde d'Aline et Christophe qui s'écroule de façon irrémédiable au fur et à mesure que les mois passe et qu'inexorablement, toutes les issues se ferment
Le stress monte crescendo.

Manoukian prend le prétexte des révisions du Bac ES pour nous rappeler les grands principes de l'économie ( expliqués de façon claire et ludique, parfois même humoristique ) et notamment le fameux " paradoxe d'Anderson" et confronter cette belle théorie avec la réalité.

Lisez Manoukian, partagez ce livre !!!!
L'auteur nous met face à nos réalités, face aux dangers de la mondialisation non seulement pour nous mais pour les générations futures.

Voici un vrai roman social sur fond de délocalisations, de mondialisation et de lutte des classes.

NB:
Paradoxe d'Anderson : paradoxe empirique selon lequel l'acquisition par un étudiant d'un diplôme supérieur à celui de son père ne lui assure pas, nécessairement, une position sociale plus élevée...

Faby de Caparica - - 62 ans - 3 juillet 2019


Le grand soir n'est pas pour demain 6 étoiles

Une histoire d'aujourd'hui, ancrée dans la réalité .
Neuf mois dans la vie d'un couple d'ouvriers où tout va soudain basculer. Christophe et Aline se trouvent l'un comme l'autre frappés par les effets de la crise industrielle : délocalisations, réductions d'effectifs, chômage . C'en est fini d'une vie qui permettait d'entrevoir pour leurs deux enfants Léa, 17 ans, lycéenne qui prépare le Bac ES et Mathis 7 ans, un avenir meilleur que celui de leurs parents .
Comment les protéger du traumatisme d'avoir des parents chômeurs ?
Comment leur épargner la perspective du déclassement social ?
Comment survivre avec moins de 1000 euros d'indemnités de chômage quand on a des crédits à rembourser ?
Le couple va envisager des solutions, mettre en œuvre des stratégies …..

Autant les séquences consacrées à l'analyse des nouvelles formes d'économie, à l'atmosphère de l'usine, aux rapports patronat/ouvriers , aux moments de discussion et d'occupation de l'usine m'ont semblé justes , autant celles consacrées aux méthodes adoptées par Christophe et Aline pour cacher la vérité à leurs enfants, et celles qui narrent leur épopée rocambolesque m'ont paru irréalistes et peu crédibles.

Ce roman à la fois social et sociétal, bien que généreux et militant ne m'a pas convaincue . Dommage !

Alma - - - ans - 27 novembre 2018