Suites
de Bruno Fern

critiqué par Débézed, le 16 août 2018
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Comme à la guerre
Suites, un terme qui a tellement d’acception. Après lecture de cet ouvrage on pourrait penser à des séquelles, les suites de la guerre par exemple. On pourrait aussi penser à la descendance, ceux qui peuplent l’arbre généalogique de l’arrière-grand-père, ceux qui le suivent dans l’histoire de la famille. Mais on ne peut pas éviter de penser à la suite de textes qui pourrait-être assimilée à la suite musicale, cet ouvrage est un peu une suite de textes différents « histoire familiale, fiction et documents divers » comme le signale l’auteur lui-même dans sa présentation en quatrième de couverture.

Ce texte présenté comme un « roman fleuve » sur la page de couverture, est divisé en deux parties : la première concerne la traversée de la guerre, celle qui n’était encore, selon l’auteur, ni la première, ni la dernière et même pas la « Grande » selon d’autres, par un brave artisan basque. C’est sa fille qui raconte à son petit-fils l’odyssée du vaillant poilu parti faire la guerre à des gens dont il n’avait peut-être même jamais entendu parler. Ce brave garçon ne comprenait guère mieux le français que ceux qu’il fallait qu’il trucide avant qu’eux l’embrochent, on l’avait averti, c’était des être sanguinaires qui ne pensaient qu’à égorger les bons Français. Son seul fait d’héroïsme fut de traverser la guerre sans y laisser sa peau et de revenir au pays où il ne fut plus jamais le même. Les séquelles l’avaient marqué à jamais, son esprit en était altéré. Et la grand-mère elle raconte tout ça, surtout l’après parce que le pendant elle le connait bien mal, le poilu ne se souvient pas bien, mélange, oublie, déforme… comme l’auteur le fait lui aussi avec son texte : il reproduit les errances mentales de l’arrière-grand-père, les courriers émasculés par la censure militaire….

La deuxième partie se compose de divers textes répartis dans trois chapitres intitulés Section A, Catégorie B et Série C. Ils évoquent une forme d’héritage que l’arrière-petit-fils aurait pu constituer sur la base des histoires racontées par sa grand-mère. Il aurait ainsi adopté les frayeurs et angoisses du héros de la Grande Guerre dont il aurait essayé de reconstruire le parcours pour évacuer ses cauchemars. Mais ses cauchemars, il ne les a pas enterrés avec ses ancêtres, il les a transférés dans son époque à lui, dans ses guerres à lui, dans ses visons apocalyptiques. Il est effrayé par les attentats perpétrés par ses ennemis à lui qui ne sont plus des Boches mais des Talibans, des Islamistes, des extrémistes religieux de tout poil. Mais il craint aussi tous les dangers écologiques qui menacent de plus en plus concrètement notre planète et surtout l’invasion des peuples migrants qui ressemble tellement, dans sa tête de gamin, à l’invasion que l’arrière-grand-père essaya d’endiguer. Après avoir entendus, les frayeurs ressenties par le bisaïeul pendant la Der des Der, il crée ses propres angoisses dans notre monde qui ne tourne pas très rond.

Dans cette suite de textes contemporains et de documents divers, Bruno Fern a glissé un fil rouge qui conduit le lecteur des horreurs de la première guerre mondiale aux grands défis qui agitent actuellement notre monde laissant penser que les hommes n’ont tiré aucune leçon de leurs effroyables erreurs et qu’ils sont toujours prêts à recommencer les mêmes folies. Si ce texte est un cri d’alarme, c’est aussi un exercice littéraire par lequel l’auteur essaie de créer un autre mode d’expression pour décrire les relations des individus avec la société qui les entoure, laissant une large place au lecteur pour meubler les espaces confiés à sa sagacité et à son imagination.