Les bornes du temps - Patience et longueur de temps...
de Martine Bores

critiqué par Débézed, le 1 août 2018
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Accepter de laisser du temps au temps
Voici le troisième opus de la trilogie poétique que Martine a écrite pour évoquer sa cruelle maladie et la lutte qu’elle a entreprise pour opposer ses mots à ses maux. « A tout moment, les mots lui auront donné le courage de lutter », précise l’auteur de la mise en page de ces vers, celui qui a armé son bras pour conduire sa lutte poétique. Après le temps de la révolte, de la difficulté d’accepter cette terrible fatalité, vient le temps des pensées, de la réflexion sur la façon d’opposer la meilleure résistance à cette épreuve sans fin, et puis quand on a lutté pour finir par accepter en organisant sa vie le mieux possible, vient le temps de la patience, de l’attente. Mais que ce temps est long car il est si difficile à meubler qu’il parait interminable. Chaque mouvement est une épreuve, une entreprise qu’on s’impose avec modération. Alors, tout étant difficile, on entreprend moins, de moins en moins et le temps s’étire de plus en plus en monotone longueur, noyé dans le marais des habitudes. « Les habitudes sont les béquilles du temps ».

Alors, le moindre de ses désirs peut paraître, pour les autres, un caprice, comme tout ce qui est tu peut sembler être un repli sur elle-même.

« Elle lit un reproche au-dessus de leurs lèvres
Quand ils mettent le doigt sur ses fréquents replis, »

Je dois tout de même préciser que ce recueil, comme les trois précédents, n’est pas toujours écrit à la première personne, certaines choses semblent concerner directement l’auteure, d’autres sont d’un intérêt plus général. Mais que ce soit pour l’auteure ou pour les autres patients hébergés avec elle, la principale question demeure le futur qu’il est difficile d’évoquer, qui inquiète, qui n’est même pas pour Martine porteur d’aucun espoir.

« Je n’attends rien de bon d’une vie qui maltraite
Au hasard des destins les corps ou les esprits, »

Il lui semble que ce futur

« Il faisait preuve d’un manque de pouvoir-vivre. »

Mais si le futur n’est pas porteur, l’espoir lui-même reste, une inquiétude, une forme d’angoisse même :

« Je ne saurais plus vivre une vie au dehors »

Même si elle s’intéresse à notre monde qui ne tourne pas très rond et surtout à toutes les atteintes que nous infligeons à notre planète qui, elle aussi, connait une réelle douleur et semble en bien grand danger, elle n’oublie pas que la vie n’est pas qu’angoisse et crainte, douleur et maladie, elle est aussi amour, amitié, émotions … Mais les sentiments et les sensations sont eux aussi fortement concernés par la maladie. Comment aimer les invalides, comment éprouver et partager des sentiments avec eux. ? Martine semble bien réservé sur ce point :

« Méfiante envers les émotions
Aux effets, parfois pernicieux, »

Pour elle, l’amour c’est quelque chose de grand, de lyrique, qui domine tous les aléas de la vie même les plus douloureux :

« Lui par amour pour elle, il lui offre sa mort ».

Mais le futur, c’est aussi et même peut-être surtout la mort. On pense souvent que ceux qui souffrent d’une longue maladie et ceux qui sont âgés sont plus familiarisés avec l’idée de la mort et de sa proximité. Ils la connaissent peut-être mieux mais ne l’appréhendent pas forcément avec plus de sérénité. Martine avoue :

« J’estimais le grand âge amplement suffisant
Pour accepter la mort comme un but apaisant,
Mais je n’avais jamais pleurer sur ma maman. »

Ceux qui fanfaronnent sont peut-être les plus fragiles face à la dernière échéance.

« Mais leur courage à vivre, en tout point encensé
N’est-il pas simplement la crainte de mourir ? »

Martine, elle, elle n’a pas peur, elle a ses mots pour affronter le mal et la mort, elle les malmène. Et parfois ils la désespèrent.

« Mais quand j’en ai fait des poèmes
Je peux redevenir sereine. »

Je voudrais garder ces deux vers comme conclusion, ne jamais les oublier pour, quand le jour viendra de fermer mes livres, les avoir encore en ma mémoire :

« Je n’oublierai jamais que mes derniers poèmes
Respiraient simplement comme un mal apaisé. »

C’est plein de douceur, de sagesse et de sérénité.