Et aussi les arbres
de Isabelle Bonat-Luciani

critiqué par Débézed, le 17 juin 2018
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
La pureté de la rage
J’ai déjà lu un précédent recueil d’Isabelle, aujourd’hui je pourrais dire les mêmes mots que j’ai écrits après cette première lecture : « c’est beau, c’est de la musique, des textes à lire à haute voix. » Sauf que la musique a changé, ce n’est plus Nick Cave qui chante, c’est Robert Smith le célèbre guitariste chanteur de The Cure, celui qui a aussi écrit les paroles de beaucoup de leurs chansons comme « Lost in forest ». La poésie, elle, reste toujours la même, libre de toute contrainte, comme un jet de bile et d’émotion vomit après une grande douleur, une grande colère, une grande frustration, une souffrance trop grande pour ne pas la rejeter.

Isabelle, se retire dans son petit bistrot, son refuge, où elle connaît tous les habitués et leurs petites manies. C’est là qu’elle vient pour oublier ses peines et ses douleurs, qu’elle trouve les mots pour évoquer, comme dans son précédent recueil, : « la séparation, la perte de l’être aimé, amant, ami, père, mère, …, hantent ces textes, la mort rode, la nostalgie se niche au creux des poèmes, la frustration, l’absence, le manque peuplent ces vers. » Mais cette fois la colère et la rage s’ajoutent à ses états d’âmes déjà fort bouleversés, sa mère est morte. Elle est triste mais ce n’est pas tant le décès de sa mère qui l’afflige mais plutôt l’existence qu’elle a menée auprès d’un homme odieux qui l’a traitée comme une esclave toute sa vie durant. Alors, elle voudrait oublier cet être abominable, cette femme pitoyable, elle voudrait se réfugier dans le souvenir de ce garçon qu’elle n’a embrassé qu’une fois, dans cet amour qui est resté pur.

« Nous étions neufs et limpides
Nous étions l’absolu. »

Alors elle se monte un château en Espagne, « comme une enfant dans les rêves se rêve enfant », un château merveilleux comme celui du Grand Meaulne, un château trop beau pour elle comme celui de la fille dans Le bal des Laze chanté par Polnareff.

« Nous habitions un château
où nos corps étaient souverains
et sans trahison. »

Mais après le rêve, la réalité, dure comme un tronc d’arbre trop droit, revient hanté son esprit avec son cortège de mâles tous aussi violents et brutaux que Maurice le père devenu impuissant qui écrit des poèmes débiles.

« Et son poème à l’autre
n’en finit pas de pas finir.
A table on l’écoutait.
On l’écoutait pour qu’elle ne parle pas. »

On l’écoutait pour ne pas entendre la mère justifier l’attitude de la bête qui la tenait sous sa coupe, elle a envie de cracher, de vomir ses mots, mais

« Les mots n’ont plus de couleur,
Ils ne viennent plus.
Ce qui vient
Est aussi loin que les rêves. »

Un texte beau comme une tragédie grecque, une rage étincelante comme le cristal, pure comme l’eau de la source claire. Un combat titanesque entre le rêve merveilleux et la réalité froide comme la glace, dure le tronc de l’arbre. Un combat que les mots remporteront un jour peut-être ?