Apprendre à lire
de Sébastien Ministru

critiqué par Nathavh, le 22 avril 2018
( - 59 ans)


La note:  étoiles
Un petit bijou à lire
Attention , immense coup de coeur.

Je connaissais la plume humoristique de Sébastien Ministru par le biais de ses pièces de théâtre "Cendrillon ce macho, Fever, Excit...", son humour parfois caustique par le biais de ses chroniques en radio, mais j'ignorais cette écriture sensible, tout en "retenue, tendresse et émotion".

C'est son premier roman, il est juste MAGNIFIQUE. A lire absolument !

Antoine, approche la soixantaine, il est directeur de presse accaparé par son travail. Il s'était éloigné de son père avec qui les relations ont toujours été difficiles et compliquées.

Antoine vit en couple avec Alex (artiste peintre) depuis trente ans. Ce duo est au fil du temps devenu platonique. Antoine s'offre de temps à autre des relations tarifées. C'est comme cela qu'il rencontrera Raphaël, surnommé Ron, un étudiant instituteur qui rêve de partir en Australie.

Un jour, le père d'Antoine lui demande de lui apprendre à lire et à écrire ! Antoine est un peu désarçonné, et pense à une lubie pour l'emmerder ... mais non son père y tient. Il veut savoir lire et écrire, et si au paradis on lui demandait sa signature pour entrer ?

Peu à peu, Antoine se rendra compte de la souffrance de son père, d'origine sarde envoyé à l'âge de six ans comme berger à la montagne. L'école et l'éducation lui ont purement et simplement été supprimées. Immigré ensuite pour travailler dans les mines, il n'a jamais pu signer le bulletin de son fils... Frustrations.. Il perdra sa femme très jeune, trop jeune et deviendra acariâtre, grincheux, c'est comme ça qu'ils s'étaient éloignés.

Antoine s'en rapproche à présent, s'occupant du vieil homme, il essaie de lui apprendre à écrire, mais c'est compliqué, il n'a pas la patience, la méthode.

Un jour il demandera à Ron de prendre le relais. Ron s'investira pendant quelques mois bien au delà de l'apprentissage de l'écriture et de la lecture, il permettra au père de s'ouvrir, de communiquer plus. Le père s'attachera à Ron, changera. Ron sera un peu le trait-d'union "père-fils", à la base de cette initiation filiale.

J'ai aimé ce premier roman en partie initiatique qui indirectement nous parle de l'immigration italienne, de la relation père-fils, de la honte et de la souffrance face à son analphabétisme. J'ai aimé l'écriture à la fois franche, pudique et sobre de Sébastien Ministru, retrouvant son humour.

Un premier roman empreint d'humilité, d'émotions. Un petit bijou tout simplement magnifique.

Foncez, c'est une très belle découverte.

Immense ♥♥♥♥♥

Les jolies phrases

Tomber amoureux est la pire des pertes de contrôle, une mise à genoux de la vie qui n'engendre que mièvrerie et troubles de la concentration.

Mon père ne savait ni lire ni écrire parce qu'il avait dû obéir aux ordres de sa famille qui lui avait refusé le droit de fréquenter l'école et confisqué à jamais le droit de s'affranchir. Je voulais bien le croire mais il n'avait pas dû être le seul dans ce cas en ce temps-là. Ce que j'avais oublié de prendre en considération c'était la souffrance qu'il avait dû endurer en silence et qui avait, sans doute, fait de lui cet homme rude et difficile.

Mais à quoi ça va te servir de savoir lire ?
A quoi ça va me servir ? Mais à lire. Peut-être que lire, ça fait mourir moins vite.

Lire et écrire, comme inspirer et expirer, sont des gestes naturels que personne ne se souvient d'avoir appris.

La vieillesse et la jeunesse ont cela en commun qu'il faut faire vite - pour l'une parce qu'il n'y a plus de temps à perdre, pour l'autre parce qu'il n'y en a jamais eu à économiser.

Pour les mots simples, il ne s'en sortait pas trop mal, pour les mots plus compliqués, c'est-à-dire plus longs, il se perdait. Son esprit, en suspens, tombait comme une poussière au vent dans les coursives qui rattachaient les lettres entre elles et dessinaient le mot, égaré par l'architecture même du vocable qui édifiait devant lui une forteresse impossible à prendre.

p87

Il arrive un moment dans l'existence où l'on sent que ce qu'on n'aurait jamais pu faire est la chose à faire.

99 % de la population est alphabétisée, mon père fait partie de cette infime portion de gens qui n'ont jamais été scolarisés. J'ai mis longtemps à le comprendre, mais il vivait ce handicap comme une réelle douleur - secrète, fourbe et lancinante, maudissant en silence son propre père qui lui avait interdit l'entrée à l'école sans mesurer les dégâts que cela causerait chez lui. J'ai sous-estimé la satisfaction qu'il éprouvait d'avoir pu apprendre les rudiments de la lecture et de l'écriture.

Il y a des gestes qui, si on les fait, ne portent pas à conséquence; il y en a d'autres qui, si on ne les fait pas, existent quand même.

Son écriture, malhabile, curieusement encombrée de courbes et d'arrondis, ne reflétait pas l'homme, mince, tendu et anguleux, que je connaissais. La forme des signes qu'il traçait avec cette volonté de prendre beaucoup d'espace révélait une autre part de lui, longtemps enfouie et qui, c'était vraiment ça le miracle, lui rendit le sourire qu'enfant on lui avait confisqué.
Se lit avec délectation 8 étoiles

Antoine, la soixantaine, est cadre dans un journal. Il vit avec Alex, peintre de réputation. Son père d’origine Sarde, un vieux veuf grincheux limite asocial, émet un jour le souhait d’apprendre –enfin !- à lire et à écrire. De toute évidence, Antoine n’a ni la patience, ni la compétence de se transformer en prof ; cependant, il va trouver un certain Ron, homosexuel, qui veut bien se charger de donner cours à son paternel.
Se lit avec délectation.

Extraits :
- Je fais partie de ces hommes fatigués de naissance, qui n’ont aucun goût pour la compétition et qui, avant même d’y aller, y renoncent.

- 99 % de la population est alphabétisée, mon père fait partie de cette infime proportion de gens qui n’ont jamais été scolarisés. J’ai mis longtemps à le comprendre, mais il vivait ce handicap comme une réelle douleur, secrète, fourbe, lancinante, maudissant en silence son propre père qui lui avait interdit l’entrée de l’école sans mesurer les dégâts que cela causerait chez lui. Qu’était-il allé chercher dans cet improbable apprentissage ? Un peu de dignité, sans doute ; ou comme il me l’avait confié à moitié en riant, un bagage pour l’au-delà où il ne voulait pas arriver sans savoir écrire son nom.

Catinus - Liège - 72 ans - 2 janvier 2022


Relations masculines 8 étoiles

Un beau jour, le père d’Antoine lui lâche qu’il voudrait apprendre à lire et écrire, à plus de quatre-vingt ans ! Antoine n’est pas du genre patient ni pédagogue. Il s’occupe de son père régulièrement, mais leur relation est celle d’hommes bourrus qui n’ont pas appris à partager leurs sentiments ou émotions. Petit-à-petit, Antoine essaie d’en savoir plus sur le passé de son père, entre les leçons qu’il s’est décidé à lui donner.
La relation de ce père et de ce fils est d’autant plus touchante qu’elle semble très réaliste. Dans cet univers exclusivement masculin (la mère est décédée bien des années auparavant), les échanges sont brefs, rêches, chacun se cache derrière sa carapace et l’amour ne se détecte que dans d’infimes détails. Malgré tous ses défauts, Antoine est très humain et attachant de par les efforts auxquels il consent.

Pascale Ew. - - 56 ans - 7 juin 2019