Généalogie du mal
de You-jeong Jeong

critiqué par Débézed, le 19 avril 2018
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Entre le soldat blanc et le soldat bleu
Un matin d’hiver, entre cinq et six heures du matin, à Gundo, ville nouvelle dédiée aux loisirs au sud de la Corée, dans le vaste duplex de sa mère qui coiffe un building de bureaux, Yujin s’éveille péniblement d’un sommeil comateux. Il ne se souvient de rien mais il se sent emprisonné comme dans une gangue qui le recouvre de la tête au pied, une croûte sèche qui couvre aussi son lit. Emergeant progressivement de sa torpeur, il se rend compte qu’il est inondé d’une forte couche de sang séché et que sa chambre est elle aussi maculée du même liquide. Il ne comprend rien, il n’a aucun souvenir. « …je ne suis pas en mesure d’expliquer pourquoi j’ai pris la porte d’entrée, ni pourquoi je suis dans cet état, ni ce qui est arrivé à ma chambre ». Poussant ses investigations, il retrouve le cadavre de sa mère nageant dans une mare de sang, le rasoir de son père qui aurait pu trancher le cou de sa mère et divers indices qui éveillent son inquiétude : et s’il était l‘auteur de ce meurtre comme tout semble l’indiquer ? Mais ceci est impossible, il n’a pas pu tuer sa mère, il l’aime réellement.

Alors, il réfléchit, cherche des indices, essaie de reconstituer ce qui s’est passé au cours de cette nuit meurtrière et finit après un jour et une nouvelle nuit par reconstituer la tragédie … Ou presque, « Il ne me manque plus qu’une chose, la clé qui va ouvrir la porte du temps perdu de ma mémoire, entre minuit et 2 h 30 du matin, la nuit dernière ». S’il n’est pas le meurtrier qui peut l’être ? Seul son frère habite aussi l’immeuble et sa tante a pu rendre visite à sa sœur. Pour quelle raison le meurtrier a-t-il tué sa mère ? Et s’il est, lui, le meurtrier pourquoi aurait-il commis un tel geste ? Il sait qu’on le traite pour des crises d’épilepsie et que la suspension de son traitement peut avoir des conséquences funestes mais il ne supporte plus sa camisole chimique, il se sent tellement mieux quand il est libéré des contraintes médicamenteuses même si les effets secondaires de la suspension du traitement sont douloureux et néfastes.

A travers un long récit particulièrement détaillé Jeong You-jeong analyse chirurgicalement les faits, les événements, les états psychologiques du presque unique personnage de ce roman angoissant qui pose bien des questions dont la première consiste à identifier le meurtrier et la seconde à comprendre son geste. Pour cela le narrateur devra remonter loin dans le temps quand son père et son frère aîné ont tragiquement disparu en mer. Pour comprendre ce qu’il a fait et savoir quel rôle il a joué au cours de cette nuit tragique, il devra sans cesse choisir entre les sages conseils du « soldat blanc » et les impulsions instinctives transmises par le « soldat bleu », entre les deux pôles de sa bipolarité. Sa mère lui avait dit : « Tu ne mérites pas de vivre ». Pourquoi ? Il doit comprendre !

Au moment où les multiples chaînes de télévision inondent les écrans des exploits des tueurs en série, prédateurs, terroristes, kamikazes et autres êtres tous plus sanguinaires les uns que les autres, à travers son analyse minutieuse et fouillée, l’auteure pose des questions essentielles sur la nature et le degré de la culpabilité, sur les limites de la compassion et du pardon, sur l’envie de vengeance. Elle plonge aussi au cœur du système psychique de ces assassins pour comprendre d’où peut venir cette nécessité de tuer : instinct de survie, instinct primitif ancré dans le cerveau reptilien... ? De cette analyse ressort aussi des éléments qui relèvent de la prédation, de la fatalité, de l’intérêt personnel, pécuniaire, affectif ou autres encore. Dans ce texte, le bien et le mal ne semblent pas clairement définis, ce qui relève de l’inné et ce qui s’ajoute avec l’acquis se mélangent, le soldat blanc et le soldat bleu peuvent se liguer pour une même cause. Dans ses conditions, juger semble bien difficile tant il est compliqué de comprendre les motivations du coupable mais il semblerait que l’instinct de conservation, fondé sur le réflexe, agisse plus vite que le geste raisonné nécessitant la mise en œuvre d’éléments plus lents du cerveau. L’être humain n’est finalement qu’un animal peut-être un peu plus évolué que les autres., il faudrait donc comprendre certains débordements sanguinaires sanas forcément les accepter.