Les passagers du siècle
de Viktor Lazlo

critiqué par Nathavh, le 7 avril 2018
( - 59 ans)


La note:  étoiles
LES PASSAGERS DU SIECLE
Vous le savez, j'aime découvrir des plumes de mon plat pays car en Belgique cela foisonne, des auteurs on en a beaucoup. C'est le quatrième roman de Viktor Lazlo, celui avec lequel je découvre sa plume. J'ai fait un très beau voyage en sa compagnie.

Le roman s'articule autour de trois personnages centraux.


Fleur Desvérieux Gaudrèche va bientôt avoir cent ans. Elle a vécu sa vie à Fort de France en Martinique. Elle décide d'écrire un journal pour transmettre à son fils Pipo, espère -t-elle, l'histoire de sa famille.

Une confession épistolaire qui revient de manière récurrente dans le roman. C'est peut-être un seul bémol car ce personnage est celui qui m'a le moins convaincu.

Entre ces lettres, l'auteure utilise une double narration par le biais des ancêtres de Fleur ; Yamissi et Ephraïm, et Josefa (sa mère) et Samuel.

Yamissi dont le destin au départ m'a un peu fait penser à "Bakhita". Elle est enlevée dans son village, a emprunté le dernier bateau négrier "Le Daomé" en 1867. Elle arrive à Santiago de Cuba et est achetée par Ephraïm Sodorowski, un juif polonais exilé - marchand d'esclaves.

Quarante ans plus tard Josefa rencontrera à Dantzig, Samuel Wotchek, un anarchiste juif. Ils quitteront Dantzig pour s'installer en Martinique.

Destins croisés de deux familles qui portent en elle l'Histoire, celle de l'esclavagisme, du poids à porter sa couleur au début du siècle, du racisme, du regard et rapport de la société, mais aussi celle de la révolution polonaise, de la montée du nazisme, de l'occupation allemande, de la Shoah.

L'errance de deux peuples, mais aussi la séparation des familles, le besoin de se replonger dans ses racines et d'en supporter le poids.

On voyage d'une famille à l'autre et dans le temps, l'arbre généalogique en début de volume est bien utile et permet de se repérer.

L'écriture est soignée. J'ai passé un bon moment de lecture. Ce fut une découverte très instructive.

Ma note : 7.5/10

Les jolies phrases

Les regrets sont un maigre recours quand la culpabilité ronge le coeur.

Elle voulait jouer, rire et s'ébattre avec les garçons sur les rives sableuses de l'Oubangui, elle ne voulait pas être une femme puisqu'elle n'avait pas encore fini d'être une enfant.

Et quand il joue de son violon, c'est une vallée tout entière qui coule de son instrument, une vallée heureuse et triste. Samuel est un poète, un rêveur, un enfant, mais pas un homme.

Le regret est une victoire, Ephraïm. Puisque aucun être humain n'est parfait, chacun de nous doit porter un regard critique sur ces actions et c'est ce que tu es en train de faire.

Tu me l'as souvent répété, je ne suis qu'une négresse qui vit dans la maison d'un juif. Deux parias qui s'appartiennent l'un à l'autre, ne sont-ce pas là tes mots ?

Deux errances, deux solitudes qui s'étaient trouvées vingt ans plus tôt et avaient inventé un possible, voilà ce qu'ils étaient, ce qu'elle avait voulu qu'ils soient et qu'ils demeurent. Car sa mémoire à elle avait voulu qu'ils soient et qu'ils demeurent. Car sa mémoire à elle ne pouvait s'apaiser qu'au regard de ce qu'ils avaient construit.

Tu as raison, Malavita, je suis un lâche. Et devant toi, je n'ai jamais pu me cacher. Tu sais de moi des sentiments que j'ai oubliés. Tu as réussi en quelques années à réhabiliter à mes yeux une race d'hommes que je ne voyais pas. Vous étiez transparents. Utiles et transparents. Ta seule présence a rendu à tous ces pauvres gens que j'ai traités moins bien que du bétail une existence visible. Parce que tu n'as jamais été invisible. J'aurais dû m'en douter quand je t'ai achetée et peut-être l'ai-je toujours su. Vois-tu, Malavita, on ne peut vivre en paix avec un passé aussi laid. Tout ce que j'ai détruit sur ma route me poursuit inlassablement. Je suis et serai éternellement un homme en fuite. Un juif errant. Même si je me suis éloigné de mon culte, même si je m'en suis bien sorti, au fond de moi subsistent la honte, la persécution. Seule ta présence me soulage. Seule ta présence...

Mademoiselle, osez vivre dans cette société qui ne claironne pas votre bienvenue, qui refuse de vous faire sentir que vous lui appartenez. Ne lui appartenez jamais, servez-vous d'elle. Je vous parle ainsi parce que vous êtes intelligente. Les femmes sont tellement éloignées de la bêtise des hommes ! C'est le mode de vie de nos ancêtres, la peur qu'elles inspirent aux hommes qui les a confinées dans la sottise, pas leurs gênes!.
Un métissage familial face aux drames de l'histoire 8 étoiles

Une vieille dame, presque centenaire, souhaite divulguer l'histoire de sa famille à sa descendance, afin qu'ils la découvrent, s'en souviennent et qu'elle demeure. Des Juifs polonais fuient les brimades de leur pays et s'enfuient vers les Antilles, à Cuba d'abord, pour s'installer ensuite en Martinique. C'est là que s'instaure le métissage familial et les complications qui s'ensuivent. La judéité mise en sourdine, les interrogations des deux communautés, l'arrivée en métropole, l'expérience de la déportation construisent une existence ainsi que le sang des enfants qui naissent de cette union. Imbriquée de manière complexe, elle fait l'objet d'un bel hommage, sous forme d'un long flash-back où les différentes vies viennent se mêler, voire s'entrechoquer, de manière douloureuse et émouvante tour à tour.
Ce livre, écrit de manière simple et d'un style assez soutenu, mérite une lecture attentive, face à un récit dense, à la richesse des rebondissements et personnages, mais il en vaut la peine face à la beauté du lien familial en butte avec le drame récurrent. Je le conseille.

Veneziano - Paris - 46 ans - 29 juin 2019


Une belle découverte 8 étoiles

En 1863, Yamissi est enlevée à l'âge de treize ans en Centrafrique et destinée à l'esclavage. Elle débarque à Cuba et est achetée par un homme du nom d'Ephraïm Sodorowski.
Samuel Wotchek, anarchiste polonais, a quitté sa mère veuve à vingt ans, mais son voyage ne prendra pas la tournure envisagée...
Une double malédiction hante les familles décrites dans ce roman : la peau noire et la judaïté, dans un siècle qui les abhorre. Ce roman n'a rien de réjouissant, mais est très intéressant et riche en émotions. L'auteure explore toutes les douleurs du rejet. Elle décrit des personnages féminins noirs forts, blessés, farouches et d'autres aux multiples failles, qui les rendent très humains. Elle aborde le thème des racines qu'on tente de fuir ou de retrouver, et elle démontre que la liberté ne suffit pas pour se construire.
Je me suis souvent perdue entre tous les personnages, les époques et les lieux. Ce roman est comme un puzzle dont il faut relier les pièces entre elles. Une belle découverte !

Pascale Ew. - - 56 ans - 12 octobre 2018