Le Sorcier de la Montagne de Feu
de Steve Jackson, Ian Livingstone, Russ Nicholson (Dessin)

critiqué par Eric Eliès, le 10 mars 2018
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Le premier "livre dont vous êtes le héros"
« Le sorcier de la montagne de feu » est le premier volume de la longue série des livres dont vous êtes le héros, qui eut un succès phénoménal dans les années 80. A ce titre, en dépit d’une écriture simpliste, parfois presque indigente, et d’un scénario sans grande originalité qui peine à vraiment installer une ambiance, c'est un livre culte pour toute une génération. Pour la première fois, un livre immerge son lecteur dans la trame narrative en s’adressant directement à lui et en lui offrant la possibilité, grâce à un astucieux système de découpage et de renvoi à des paragraphes numérotés, de prendre des décisions qui influent sur le déroulement de l’histoire. Outre ce mécanisme, les auteurs ont également élaboré un système de règles, inspiré des jeux de rôle, pour la création du héros et la gestion des combats, qui introduisent une dose importante de hasard. Ces règles sont très bénéfiques pour la maîtrise du calcul mental par les jeunes lecteurs : on passe son temps à faire des additions et des soustractions ! En fait, le livre fait office de maître de jeu pour un joueur solitaire dans un univers héroic-fantasy. Un univers totalement artificiel, qui n’a aucune densité ou profondeur, tant il est grotesquement factice. Il suffit d’imaginer toutes ces créatures qui passent leurs journées à s’emmerder au fond d’une grotte dans l’attente d’un hypothétique aventurier…

En effet, le scénario est caractéristique, pour le meilleur mais surtout pour le pire, de l’univers de « donjons et dragons ». On pénètre dans l’antre d’un puissant sorcier, tapi au fond de son labyrinthe, pour lui piquer son trésor après avoir massacré toutes les créatures qu’on croise en chemin. Les décisions proposées sont assez sommaires : ce sont souvent des choix de direction (on prend le tunnel de droite ou le tunnel de gauche ? on ouvre la porte ou on passe son chemin ?) et le livre est en fait un casse-tête déguisé. La particularité des livres dont vous êtes le héros, qui les rapproche fortement du jeu (d'où leur surnom de "livre-jeu"), est qu’on peut échouer. C'est même l'un des ressorts du plaisir de lecture ! On peut mourir lors des combats et, surtout, il est nécessaire, pour finalement triompher, d’avoir trouvé les trois clefs qui permettent d’ouvrir le coffre du sorcier. Ce n’est pas tout de parvenir jusqu’à lui et de le tuer, il faut aussi avoir pris le chemin permettant de trouver les bonnes clefs (d’autant qu’il existe des fausses clefs !). Le principe du livre repose donc sur la relecture car, sauf chance improbable, il est quasiment impossible, vue l’absence d’indices permettant d’orienter les choix de direction, de le trouver à la première tentative.

Pour un premier livre, qui crée le genre, le livre offre des moments remarquables qui montrent que les auteurs ont essayé d’utiliser toutes les ressources offertes par le système de renvoi. Ainsi, il contient un labyrinthe assez complexe, qui a dû épuiser voire décourager de nombreux jeunes lecteurs ! Néanmoins, les auteurs ont peiné à maîtriser leurs propres règles : la distribution des points d’habileté, d’endurance et de chance est anarchique et les combats sont trop déséquilibrés à l’avantage du joueur. Mais là où le bât blesse vraiment, c'est l'écriture : même si les auteurs tentent parfois quelques traits d'humour (en outrant certaines scènes grandguignolesques) ou imaginent quelques situations originales (comme les outils magiques qui creusent un tunnel dans la roche), le style reste assez plat et les descriptions sont sommaires. En fait, l’histoire vire au jeu de massacre et le héros, surtout dans la première partie de l'aventure, a une psychologie de brute épaisse aux réflexes pavloviens : ouvrir porte – tuer monstre – prendre trésor.

Par ailleurs, et ce qui ne gâche rien, les illustrations sont remarquables.