Toujours Aussi Jolie
de Carine-Laure Desguin

critiqué par Débézed, le 19 février 2018
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Illusion ?
Ils étaient trop jeunes, pas assez sérieux, pour qu’on puisse accepter l’idylle qui risquait de les emmener dans un avenir que ni la famille de la jeune fille, encore une enfant, ni celle du jeune homme, bien trop jeune, ne pouvait envisager. Alors, la jeune fille a été envoyée au pair en Angleterre, ce qu’elle accepta bien vite car, avec le garçon ils avaient formulé le plan de s’y retrouver. Hélas l’histoire ne s’est pas écrit comme ils l’avaient prévu, la jeune fille appris un jour que le jeune homme n’avait pas survécu à un accident.

Bien des années après, elle rentre au pays, au Pays Noir comme on désigne souvent la région de Charleroi longtemps restée sous la poussière dégagée par les mines. Faisant étape à la gare du Midi, à Bruxelles, elle voit, croit voir, croit reconnaître, deviner, une personne qui lui a été particulièrement chère : illusion, hallucination, ressemblance… ? Elle ne sait que penser, elle est un peut perturbée, déstabilisée. De retour à Charleroi, elle retrouve sa ville, tout a changé, rien n’a changé, elle retrouve, les rues, les commerces, les cafés, même lui, le personnage qu’elle a vu à la gare, semble toujours être là, dernière une colonne, au coin d’une rue, là un peu plus loin à peine dissimulé, jamais à portée de voix. Chaque fois, elle fait des photos pour qu’elle puisse témoigner sans qu’on la prenne pour une folle.« Elle se dit que finalement, ces photos insolites viennent pimenter son destin, que rien n’arrive par hasard, que ce hasard n’existe pas, qu’il n’est que le reflet de nos pensées. »

Avec cette nouvelle, comme elle sait si bien en écrire, un texte élégant, incisif, émouvant, agrémenté de jolies fulgurances, Carine laure Desguin emmène le lecteur sur un rythme vif et soutenu, un rythme tenant en haleine jusqu’à la chute, dans longue interrogation sur le rôle que pourraient jouer le hasard, le refus de la vérité, la négation de la destinée, le force de la fidélité, la résilience. Elle entraîne le lecteur dans un monde bien connu qui pourtant recèle des interrogations fort perturbantes à qui n’accepterait pas de croire en d’autres vérités moins cartésiennes que celles qu’on accepte habituellement. Il faut attendre la chute pour comprendre réellement cette histoire troublante.

Au moment de rédiger cette note, j’ai soudainement pensé à Georges Rodenbach, à ma lecture de « Bruges la morte » et au « Pari Illusionniste » ce mouvement littéraire qui évoque l’illusion recréée d’un être existant qui s’évanouit quand le double rencontre son modèle, comme « L’Eve future » de Villiers de l’isle-Adam. Carine-laure Desguin a certainement lu ces auteurs, aurait-elle pensé à Eve, à l’épouse et à la maîtresse de Viane quand elle a relevé le défi de traiter le problème du double, de l’apparence, de l’illusion ? je ne sais mais on peut relier cette nouvelle aux œuvres de ces auteurs maitres en illusion, et je laisserai ma conclusion à Georges Rodenbach : « La ressemblance est la ligne d’horizon de l’habitude et de la nouveauté ».
Une ville, un amour 8 étoiles

De retour à Charleroi après dix ans passés à New-York, Virginia, qui occupe un appartement situé place Buisset, croit revoir son ancien amour, Marcus, sur une des photos prises par elle la veille à la gare de Charleroi-Sud.

Mais Marcus est mort, peu avant son départ, et enterré. L’obsession de Marcus est-elle le signe qu’il ne serait pas décédé ou bien qu’il demeure indéfectiblement vivant en elle ?
Elle rencontre bientôt Serge B., le bibliothécaire de la Bibliothèque Marguerite Yourcenar, témoin de leurs amours passées… qui va répondre à ses interrogations.

" La vie prend de ces tournants parfois, comme c'est étrange. Virginia ressent en elle de grands remous et elle pressent, comme si des milliers d'antennes plantées dans son corps faisaient écho avec l'univers en entier, que des changements surviendront bientôt dans sa vie. Un nouvel amour? Qui sait? Après tout, être fidèle à un fantôme comporte des avantages mais aussi, hélas, des inconvénients. Parfois, le soir, la solitude est écrasante. Elle se dit que finalement, ces photos insolites viennent pimenter son destin, que rien n'arrive par hasard, que ce hasard n'existe pas, qu'il n'est que le reflet de nos pensées. "

Cela se passe au printemps 2016, pendant la transformation de la Ville Basse, fort bien rendue, quand un vaste projet architectural reconfigure tout un quartier, éliminant par ailleurs le bâtiment ayant abrité le fameux Cabaret-Vert où s’est arrêté Rimbaud, dans son périple de 1870, pour savourer un jambon-beurre.

Le chantier du futur centre commercial creuse un gouffre qui génère son lot d'amertumes, suite aux démolitions, et d'incertitudes, quant à l’avenir de la cité.

Carine-Laure Desguin est coutumière dans ses fictions de ces ambiances citadines, de ces portraits de villes, de ces histoires d’amour improbables autant qu’idylliques, du conflit entre marginaux et notables, entre défenseurs de la modernité (des idées, des comportements) et tenants du passéisme.

Ici, le lieu participe de l’état d’entre-deux où est plongée l’héroïne de l’histoire. On peut penser que l’amoureux disparu, qu’elle croit revoir, est le Charleroi d’hier qui se meurt. La question, le suspens réel consiste alors à savoir si la ville, elle, renaîtra de ses cendres au sein des nouvelles constructions, et si la greffe va prendre? Il est certain que cette interrogation ne trouvera pas aussi vite réponse que celle concernant, dans la fiction, l’existence de Marcus et la reprise de l'amour... Mais c’est aussi ce qui donne à ce récit bien mené valeur de métaphore pour l’avenir de Charleroi ou de toute autre ville soumise à un semblable réaménagement urbain.

Kinbote - Jumet - 65 ans - 10 mars 2018