Au creux du silence de Marcel Peltier

Au creux du silence de Marcel Peltier

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Kinbote, le 17 février 2018 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 9 étoiles
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La vie brève

LA VIE BRÈVE

Depuis près de vingt ans, Marcel Peltier écrit des haïkus et s’interroge à leur sujet, ne se contentant pas de la forme fixe établie, remettant en cause les classiques vers de 5/7/5 pieds supposés être dits dans un souffle.

En prenant appui sur les travaux oulipiens de Roubaud ou Le Lionnais, et dans le sillage des quanta(s) de Guillevic, il réduit ici encore la forme brève, cherchant, sur le mode de l’essai et de l’erreur, en mathématicien qu'il est, la formule qui mêle le minimum de mots avec le maximum d’efficacité, tout en demeurant dans l’esprit zen présidant à l’écriture de haïku : notation sur le vif qui privilégie la sensation sur l’intellect.

En six mots, parfois moins, rarement plus, suivant la contrainte qu’il s’est fixée, il délivre des instants volés à son quotidien.

Attentif aux sons, aux contrastes visuels, aux perceptions minuscules qui trahissent un état d’âme plus qu’elles ne l’expriment, c’est le non-dit, l’oiseau de la sensation que traque Marcel Peltier dans ces exercices journaliers (la pratique du haïku procède du journal, "extime", on dirait ici, en citant Tournier), ce qui transparaît du caché, sans souci de psychologie.

On ne peut s’empêcher de penser à l’aphorisme wittgensteinien : "Ce dont on ne peut [bien] parler, il faut le taire". Dans le rendu du sujet, rien ne doit transparaître de l’inconscient de l’observateur pour que la flèche des mots atteigne le coeur de cible.

Même si on peut penser qu’à travers ses nano-poèmes, Marcel Peltier dit, en creux, des choses de lui mais non identifiable de prime abord. Il ne s’agit pas de rendre compte d’une personnalité dont on sait qu’elle est fluctuante, de l'ordre d'une caractérisation sociale, mais juste de glaner un geste, une position, de surprendre une expression faciale, un tropisme. Ou bien encore de donner des yeux aux choses inanimées…

Le haïku est l’instrument de la surprise, de l’étonnement, de l’éphémère. Tel un photographe de l’indicible, Marcel Peltier capte des instants de vie, saisit des petits riens qui font sens le temps d’un surgissement (ou d’une éclipse).

Des haïkus desquels ne sont pas exclus, loin de là, l'érotisme, l’humour, l’esprit caustique, la satire sociale, l’émotion voire le tragique d’une existence, la trace d’un deuil... Le propos n’est jamais de poser un jugement sur les faits observés, tout au plus d’émettre un soupçon empathique, une proposition face à l'éventail des possibles.

De la sorte, Marcel Peltier est toujours en équilibre sur le fil du silence. C’est de là, du silence, de cette faille, qu’il épie sans espionner les reflets du monde nouménal qui marquent à la façon d’une trace fugitive le miroir des jours pour dessiner une image avec une rare et précieuse économie de mots. Car la vie est brève et l’écriture sans fin.

EXTRAITS


Crépuscule,

Les choses se cachent

Sans un bruit.

*

Envol,

rendez-vous

Manqué.

*

Du chocolat sur
ses lèvres.

*

Une chape de silence,

vieilles photos

*

La pénombre,

frôlement légers

Des tissus

*

Rosée,

mes chaussures

Lavées.

*

Table d’hôte,

les invités sont

Les mésanges.

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