Les Arabes
de Bertram Thomas

critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 15 février 2018
(Ottignies - 88 ans)


La note:  étoiles
L'Histoire en raccourci
C’est évidemment une gageure de vouloir raconter toute l’Histoire d’un peuple en quelques 250 pages. C’est néanmoins le défi que s’est lancé l’ancien Premier ministre du Sultan de Mascate et d’Oman, l’Anglais Bertram Thomas, quand il a entrepris « Les Arabes » en 1946, à une époque, donc, où le sujet n’était pas encore conflictuel.

L’auteur parle d’abord des Arabes de l’Antiquité et ce passage, plutôt méconnu, est très intéressant. Il parle ensuite du Prophète qui fut, comme chacun sait, un tout grand mystique, réellement inspiré par Dieu avant de devenir un chef de guerre. L’auteur souligne qu’on sait peu de chose à son sujet. On doit se fier à la tradition, qui va de la sublimation à un côté peut-être un peu trop... réaliste.

Ensuite le récit aborde l’Histoire proprement dite des Arabes avec les incroyables conquêtes des VIIème et VIIIème siècles sous le signe de l’Islam, d’abord en Orient, ensuite en Occident. L’auteur explique comment ces conquêtes ont été rendues possible par la disparition des grands empires, notamment l’empire Perse et l’empire d’Orient. Mais cette histoire est beaucoup trop résumée pour qu’elle soit réellement intéressante. Les combats entre les dynasties héritières du Prophète sont à peine mentionnées et l’Histoire galope beaucoup trop vite.

Le récit redevient intéressant quand l’auteur aborde le développement artistique et scientifique des Arabes chez les peuples conquis. L’auteur nous explique que les Arabes envahisseurs étaient les nomades, pauvres et sans instruction. Les riches commerçants n’avaient pas de raison de s’expatrier. Les envahisseurs étaient trop peu nombreux pour assurer un véritable peuplement et se sont rapidement « civilisés » si l’on ose dire, au contact des peuples conquis.
L’auteur ne manque pas de mettre en évidence la magnifique assimilation, dans certaines régions, comme en Andalousie où s’est développée entre musulmans, chrétiens, et Juifs une culture remarquablement évoluée.
Le Coran interdit la pratique de la plupart des expressions artistiques et, à l’époque, on croyait qu’il contenait toute la science du monde. Néanmoins, dans certaines régions les Arabes nous ont laissé une architecture d’une beauté intemporelle et, comme à Istanbul, quelques remarquables copies de bâtiments existants. Ils nous ont transmis des connaissances arithmétiques qu’ils avaient apprises au contact des Indiens et puis, bien sûr, en beaucoup d’endroits, ils nous ont laissé leur religion et leur langue.

Cependant, si les Arabes ont conquis des territoires aussi vastes que l’empire romain, l’auteur nous dit que, par comparaison, ils n’ont laissé que peu de traces. Avec ces conquêtes, remarque-t-il, la Méditerranée, mer d’échanges depuis la plus lointaine antiquité, est devenue pour toujours une barrière entre deux cultures difficilement réconciliables.

Après ça, l’auteur reprend la suite des événements, au grand galop, et en vient à l’épisode des Croisades, aux conquêtes mongole et tartare, à la conquête ottomane, aux conflits avec Tamerlan pour en arriver à la chute de Byzance en 1453. L’empire, sous le joug ottoman, s’oppose alors à Charles-Quint. On retient de ces pages une chronologie des événements mais d’une façon trop peu détaillée pour être réellement intéressante.

L’auteur passe ensuite à l’époque contemporaine avec la chute de l’empire ottoman. Cette période prend une bonne partie du livre et ça devient nettement plus intéressant parce que ce moment de l’Histoire, avec la guerre de Crimée, la question des Balkans et la première guerre mondiale, est un peu compliqué. Mais l’auteur éclaircit bien les choses. Ici on le sent bien plus à son aise.
Au passage, il nous rappelle opportunément que les fameuses « colonies » occidentales au Proche-Orient étaient des sortes de dominions qui n’ont guère duré plus d’une vingtaine d’années, n’ont donné lieu à aucun peuplement et n’ont en rien changé le cours de l’Histoire.

A la fin du livre l’auteur, qui a passé la majeure partie de sa vie chez les Arabes et qui se dit « arabe corps et âme », nous raconte, sur plusieurs pages, une expédition nocturne qu’il a vécue au fin fond des déserts d’Arabie, et on se demande si tout le livre n’a pas été écrit uniquement pour nous conter cette aventure. C’est un éloge dithyrambique à la gloire du bon accueil des Arabes. Il nous dit qu’il a d’abord été accueilli, en pleine nuit, par des rafales de mitrailleuses. C’est la tradition ! Mais, comme par miracle, il avait échappé aux balles, les tireurs maladroits lui ont réservé un accueil inoubliable : « la loyauté de ces Bédouins faméliques, nous dit-il, qui n’avaient aucune raison de laisser la vie à un chrétien inconnu, est un souvenir que je chérirai toujours avec la plus grande gratitude ». Et il ajoute : « les Arabes n’auraient-ils pas d’autre titre que leur comportement chevaleresque, ça leur donnerait droit à un renom superbe parmi les nations ».

Pour terminer cette trop longue critique, je dirai que ce livre n’est pas à la hauteur de ses ambitions mais ne manque pas d’intérêt quand l’auteur aborde l’Antiquité et la période plus récente de l’Histoire des Arabes. Le reste est plutôt un rappel chronologique des événements. Le livre est bien écrit, bien documenté et de lecture facile et agréable.