Au Nord de Mogador
de William Cliff

critiqué par Débézed, le 6 février 2018
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Empathie poétique
Après avoir pleuré ses amours perdus dans le recueil du même non, William Cliff publie ce nouvel opus dans lequel figurent certains poèmes qui auraient pu être insérés dans le précédent, des strophes tressées pour chanter les éphèbes au corps de rêves.
« buvons pour les adolescents si beaux
qui vole sur la lame vagabonde »
Dans le présent recueil, l’auteur évoque surtout les voyages qui l’on conduit au Nicaragua, à Manhattan, à Mogador, à Agrigente, sur l’Ile d’Elbe et dans bien d’autres lieux encore.
« je me dis « Essayons de partir en voyage
n’importe où pour briser l’apathie de notre âge. » »
Mais le voyage rappelle toujours le pays : Gembloux, entre Bruxelles et Namur, et sa nature si accueillante vers laquelle il faut toujours revenir.
« à tel point qu’il m’est arrivé de me rouler
dans la forêt pour me saouler de sa beauté. »
Le temps des passions est passé, William Cliff revient au bercail pour demander aux hommes de faire preuve de plus grande sagesse et d’oublier la violence inutile.
« hommes nous sommes loups les uns aux autres
au lieu de nous aimer d’un peu plus près »
Il est tellement plus important de pouvoir compter sur son prochain quand on traverse un mauvais gué, qu’il est fort bien venu que celui-ci puisse lui aussi compter sur son voisin en temps voulu.
« Alors on est heureux quand quelqu’un par son aide
nous tire d’une embûche où périssait notre être. »
Ainsi, après avoir perdu de nombreux amours au cours de ses voyages au long cours, vers le soir de sa vie, William Cliff est revenu gambader dans ses campagnes natales pour chanter encore la nature, la paix, la douceur, la tendresse, la beauté et surtout la sagesse et la tolérance dans ce recueil de poésie bien structurée, sans fantaisies inutiles, pleines d’une douce empathie.
Je retourne à l’auteur sous forme d’un clin d’œil cette strophes qui évoque une petite ville proche de chez moi qui a perdu depuis un certains temps le chapeau qui l’a coiffé par erreur pendant quelques années.
« En revenant vers Dôle et parlant à un homme
qui avait pris un brochet, je passai du temps
à écouter son accent plein d’histoire comme
nous en avons tous quand nous prenons notre temps. »
Désormais quand je passerai par Dole, je penserai à ce poème de William Cliff même si je ne pêche pas le brochet.
Un poète voyageur du quotidien 7 étoiles

"Je suis là comme un tas de viande surannée / transpercé par le cri d'un oiseau forcené". William Cliff possède une écriture moderne et évoque des thématiques qui le sont tout autant. Il voyage beaucoup et ses poèmes qui ne sont pas organisés en sections nous promènent de Philadelphie au Lubéron, de Gembloux à Montevideo. C'est ainsi qu'il est question aussi d'avions et de trains. Notre imagination vagabonde à travers le globe en suivant ce poète dont le regard saisit des instants singuliers et plutôt prosaïques qu'il va immortaliser par ces poèmes. Il peut aussi bien évoquer une panne d'électricité que le chant d'un oiseau, des repas ou une mouche sur un excrément ... La banalité devient source d'inspiration et certains sujets du quotidien deviennent matière poétique. Très souvent, ce qui est sale ou laid se voit couché sur papier par le poète. Ce dernier se semble se réaliser que dans le changement et dans le mouvement.

L'écriture est moderne. La ponctuation se fait très rare. Certains poèmes sont réguliers, d'autres témoignent d'une originalité dans leur forme. Parfois on croit reconnaître des sonnets, mais William Cliff en fait rapidement autre chose. Il ne respecte pas forcément les rimes finales et pourtant ses poèmes possèdent une certaine musicalité et du rythme. Le poète ne se censure pas, la sexualité peut aussi être évoquée, du moins certaines rencontres furtives, celles qui ne s'inscrivent pas dans la durée, comme s'il fallait tout le temps partir et ne pas s'attacher. Ses poèmes ne sont pas hermétiques. Ils sont faciles à lire et ont cette veine réaliste qui pourra plaire aux lecteurs.

"J'ai beaucoup promené mon corps dans la nature,
au milieu des bouleaux, des sapins et des ronces,
tout seul je l'étendais dans ses rêves sur l'herbe
et je le répandais, oh ! ça faisait si mal !"

Il y a une certaine oralité dans son écriture. Les phrases enjambent parfois sur la strophe suivante. Le poète est libre et sa langue en témoigne. En le lisant on a l'impression d'entendre sa voix et sa diction.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 10 décembre 2022