Le silence même n'est plus à toi
de Aslı Erdoğan

critiqué par Darius, le 31 janvier 2018
(Bruxelles - - ans)


La note:  étoiles
Chroniques kurdes
Recueil de chroniques que l’auteur a rédigées pour un journal kurde et qui mèneront à son emprisonnement.
Elle compare dans quelques pages la Turquie actuelle avec le régime nazi :

« Parce qu’ils voulaient la paix, parce qu’ils ont déclaré ne pas être complices des crimes atroces qu’elle commet, la Turquie des années 2010 a jeté en prison quatre universitaires, sur « ordre venu d’en haut » ! Pour trouver semblables faits dans la longue histoire de l’oppression, il faut remonter à la période nazie, à la Pologne occupée ! »

« La Turquie joue une « nuit de Cristal » à sa mesure, les foules prêtes au lynchage envahissent en masse les rues de la ville. En une minute, le siège est fait devant un nouveau bâtiment du HDP (parti d’opposition pro-kurde), des librairies aux kebabs, les « commerces kurdes » sont mis à sac, un jeune qui parlait kurde est dépecé à coups de rasoir, on exige d’immoler une fille de cinq ans, le fracas des opérations lourdes s’élève depuis les murailles, les hélicoptères tournoient au-dessus de la ville, sur Internet on apprend que la ville de Silvan qui venait à peine de commencer à panser ses plaies est de nouveau la proie des flammes, dans les villes assiégées les snipers abattent des hommes un à un, les tanks à chenilles progressent en direction des maisons effondrées, on charge les mortiers, un gamin de quatorze ans est placé en garde à vue, une mère couche son bébé mort dans un bac à glaçons, ses enfants regardent une mère qui meurt vidée de son sang, des foules enragées caillassent les bus qui vont à Diyarbakir
« A Auschwitz, des mètres de cheveux de femmes, l’oreille mutilée de B retrouvée dans une poubelle, les cercles de l’enfer qui vont rétrécissant, plus profonds, jamais rassasiés. »

Il y a aussi l’écriture poétique, qu’on écoute comme une musique nostalgique qui nous berce et nous émeut, même si on ignore pourquoi et dont les mots s’oublient et s’envolent vers le vent :

« C’est un triste matin d’hiver, enfoui sous une aube glacée, sans lumière, profondément enseveli sous des couches de brumes. Froid et incolore, absolument décoloré comme si chacune des sept couleurs était enfermée dans son tube. Comme si le matin évitait soigneusement d’entrebâiller l’horizon, d’appeler ou de promettre, de secouer les heures du réveil. Même le vent qui souffle de plus en plus fort, comme pour annoncer l’orage, bien qu’énumérant regrets et reproches, tout chargé de silence, ne sait rien exprimer de dicible. Un court jour d’hiver qui, son début et sa fin noués dans une même immense et morne obscurité, ne sait pas dans quelle direction s’écouler, naviguant au fil des hésitations et des indécisions… Comme une phrase destinée à être coupée en deux. Le 9 mars, le matin, à Istanbul. »