Vivre sous la tente au Moyen Age : (Ve-XVe siècle)
de Hervé Martin, Marc Russon

critiqué par Fanou03, le 8 décembre 2017
(* - 48 ans)


La note:  étoiles
Lancelot fait du camping
Voici un sujet qui pourrait a priori sembler curieux : une copieuse monographie (quatre cents pages quand même !) sur la place de la tente au Moyen Âge. Ce serait oublier, mine de rien, la place que les campements avaient en tant que mode de vie d’abord, en particulier dans les campagnes militaires bien sûr, mais aussi dans l’imaginaire collectif et symbolique des classes sociales dominantes.

L’ouvrage traite essentiellement du campement militaire et aristocratique : on peut le regretter évidemment, mais la prédominance de cette approche s’explique par le manque de source concernant l’usage qu’avait du camping le restant de la population. De même le déficit en données sur le sujet ne permet pas aux auteurs, à leurs grands regrets d’ailleurs, d’aborder en profondeur le volet technique et économique de la tente, même s’il semble qu’il y ait eu une véritable « industrie » liée à ce domaine, ou même, en Angleterre par exemple, des corps de métier dédiés au montage complexe des tentes de la suite royale. Ce que j’ai beaucoup apprécié par ailleurs est que l'étude n’est pas restreinte à l’aire européenne: elle évoque, et de façon passionnante, les campements dans les civilisations mogholes, turques ou arabes, et de quelle façon ils ont influencé (à travers les Croisades et la Reconquista en particulier) la conception du campement des armées occidentales.

À côté de la tente en tant qu’élément central des campagnes militaires ou des modes de vies de certaines civilisations, les deux auteurs, Hervé Martin et Marc Russon, démontrent l’importance de la tente dans les récits d’amour courtois ou bien chevaleresques, et la symbolique qu’elle sert. Ils insistent également sur ce que le campement peut porter comme représentation de l’ordre du monde, représentation portée par le modèle du camp de Moïse pendant de l'Exode ou bien encore celui des armées romaines. Les illustrations iconographiques des campements, fort abondantes dans les enluminures de cette période, sont également largement commentées, notamment sur ce qui concerne la dialectique entre réalisme de la représentation et idéalisation.

Les auteurs du livre sont modestes: ce qu’ils qualifient eux-mêmes de "mini-objet historique" a dû représenter une somme considérable de travail, de compulsion d’archives, de manuscrits et de synthèse. Si parfois le résultat est peu descriptif, à mon goût tout du moins, ou un peu plus difficilement lisible, du fait par exemple des très nombreux extraits de texte en vieux français, il s’agit d’une étude comme je les aime, qui met en perspective, par un angle inattendu, tout un pan du fonctionnement d’une partie de la population du Moyen Âge. Elle nous offre une peinture très vivante, paradoxalement très riche en dépit de ce sujet resserré, et au final autant sociale que strictement historique.