Manuel pour dire au revoir
de Gwenola Breton, Thibault Pétrissans (Dessin)

critiqué par Débézed, le 24 novembre 2017
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Avec un ciel si gris que les mots se sont perdus
J’aime ce livre, je crois que je vais le classer parmi mes coups de mon cœur année de lecture pourtant déjà bien remplie. J’aime sa présentation sobre et élégante et, c’est plutôt rare pour le signaler, j’aime son toucher délicat comme celui des blousons de daim que je rêvais de porter, sans jamais avoir les moyens de me les payer, quand j’étais jeune. J’aime aussi la riche illustration réalisée à l’encre diluée par Thibault Pétrissans, elle entoure le texte d’un gris qui évoque le celui des ciels de Brel qui ont égaré les canaux dans son plat pays. Ce gris nimbe les mots scintillants et chatoyants dont Gwenola a habillé son texte, on dirait qu’elle les a revêtus de leurs habits du dimanche.

Les textes qu’elle glisse dans le gris de dessins de Thibault Pétrissans sont de la véritable poésie en prose mais pas seulement, ils sont aussi des petits bijoux de quelques lignes à une page complète, taillés, ciselés pour rendre tout l’éclat des mots qu’elle a soigneusement choisis pour vivifier la langue qu’elle utilise. Une langue vive et alerte mais en même temps douce et sensuelle, une langue pour dire la vie, la mort comme une partie de la vie même si c’est la dernière, l’amour, l’amour sous toutes ses formes : passion, pulsion, amitié, passager, pour toujours…, la recherche d’une identité perdue dans le doute, la confirmation d’une existence, tout ce qui interroge, dérange, interpelle, tout ce qui s’explique mieux avec des mots même des mots qui expriment le doute.

« Je doute. Si j’hésitais. Pour qui j’hésiterais ? J’écoute. Si j’existais. Pour qui j’écrirais ? Un mélange de phrases imprononçables. Un terre-plein, des galets. De quoi faire mes espaces vides. Si j’existais. »
Gwenola jongle avec les mots pour leur faire dire ce qu’elle ne sait pas dire car les « Les mots disent la vérité. Pas moi ». Pour elle les mots sont jeu et dans le jeu il y a la vérité qui se cache et qu’on ne sait pas voir.

« Boîte à chapeau. Voir. Plus voir. Apparaître. Disparaître. Hop ! Revenir. Hop ! Disparaître à nouveau. Hop ! Hoquet. Réintégrer. Hop !... »

Des mots qui claquent à la place des phrases pour laisser filtrer cette vérité que le lecteur doit aller chercher au fond de ces mots-phrases ou de phrases très courtes. Avec ses phrases qui claquent comme des coups de fouets, Gwenola va plus loin, elle ne se contente pas de suggérer à travers le doute, de proposer par le jeu avec des mots espiègles, elle dénonce les idées toute faites, les truismes, les facilités langagières, les formules convenues, les insuffisances culturelles qui nourrissent le langage courant de ceux qui ne font pas l’effort de réfléchir.

« Je sens glisser le long de ma barbe molle un silence. Dans lequel se fonde une Certitude. Les gens qui chantent en anglais sont des cons. Les gens qui font des livres pour les enfants ne savent pas écrire. Les gens ne lisent plus. Les gens ne savent pas ce qu’ils disent… C’était mieux avant. Souvent même… »

La somme du langage moyen, les expressions qui constituent ce qui reste du vocabulaire : quelques formules toute faites répétées à l’infini pour nourrir des conversations absconses, vides de sens.

Un texte dont je retiendrai surtout la grande aisance langagière de l’auteure, sa facilité à mettre de mots bout à bout sans réellement faire des phrases, les mots étant eux-mêmes la phrase, pour évoquer des problèmes qui agitent notre vie depuis l’origine du monde. Elle n’hésite pas à bousculer l’orthographe en utilisant les majuscules comme des éléments de ponctuation supplémentaires pour apporter une accentuation particulière à certains mots. La difficulté reste pour le lecteur qui voudrait se livrer à une tentative de résumer, de condenser, d’expliquer ces textes qui sont déjà distillés sous la forme d’une essence de vocabulaire très concentrée.