Novak Djokovic - La Quête de Roland-Garros
de Carole Bouchard

critiqué par Agnesfl, le 7 novembre 2017
(Paris - 59 ans)


La note:  étoiles
Le déclic
Premier joueur depuis Rod Laver en 1969 à avoir gagné 4 grands Chelems de suite, il s'est fait remarquer dès son adolescence par sa volonté de fer, et son amour du travail bien fait. Il disait déjà à son entraîneur Nikola Pilic lorsqu'il avait 13 ans " Je dois travailler, je dois travailler."
Fabrice Santoro pour sa part a tout de suite remarqué son professionnalisme: " Il est arrivé sur le circuit à 16 ou 17 ans et j'ai tout de suite été très étonné par ce joueur qui était ultra professionnel, qui passait énormément d'heures sur le terrain, était le dernier à quitter la salle de gym le soir. Il s'étirait tout le temps, faisait des abdos, de la musculation. Tout le temps. Il était déjà hyper mature et hyper pro dans sa manière de travailler. Tu savais déjà qu'il voulait aller tout en haut. Et ça tu l'as ou tu ne l'as pas. "
Ce joueur réputé pour sa souplesse et sa laxité a commencé sur les conseils de sa première coach Jelena Genci à jouer avec un revers à une main : " Quand j'avais 7 ou 8 ans j'ai donc commencé à jouer comme ça et je me débrouillais bien! Mais j'ai ensuite été un peu énervé car à la même époque, j'ai aussi débuté les tournois. C'était ma première année dans les tournois locaux, et les autres joueurs avaient vu que j'étais petit, maigrichon avec un revers à une main, donc ils me jouaient tous ces balles super hautes sur mon revers et je ne pouvais rien faire. C'est là que je me suis mis à réfléchir et que j'ai commencé à jouer à deux mains."
Pourquoi Novak qui a grandi sur terre battue est-il si bon sur cette surface? Son coach Marian Vajda explique : " Tout est dans son déplacement. Il est tellement souple. Il glisse de manière fantastique. Et c'est le secret : glisser. Parce que la plupart des gars récemment ont changé leur déplacement et courent au lieu de glisser. Mais sur terre battue, si vous êtes bon, vous glissez, sinon vous êtes hors de portée sur chaque balle, vous laissez un côté ouvert et c'est fini. Novak peut couvrir le court de manière excellente et toujours revenir en position."
Novak croit beaucoup au pouvoir de l'esprit : "Si vous le travaillez autant que vos muscles, vous maximisez votre potentiel." Du reste, depuis 2010, il fait de la méditation, du yoga, de la sophrologie qu'il a intégré dans sa vie de tous les jours. Il a également changé d'alimentation optant pour un régime sans gluten. " La nutrition est l'une de mes grandes passions. Depuis 2010, c'est devenu ma quête de voir comment je réagissais à certains changements, et puis tout d'un coup c'est devenu un hobby, une passion. .. Plus on se lance là-dedans, plus on devient en meilleure santé et meilleur tout court." Patrick Mouratoglou déclare " Quand tu le connais un peu mieux et que tu déjeunes avec lui, il va te compter les feuilles de salade! Il veut tant de trucs, tant de carottes, il vérifie d'où viennent les produits… C'est un Martien !...
Son coach a expliqué que ces techniques de l'ici et maintenant avaient été le seul moyen pour Djokovic de supporter la situation à Paris et d'oublier le passé pour recommencer à zéro. Et puis quand trop de souvenirs négatifs remontaient à la surface Marian Vajda parlait avec lui : " Il y avait tous ces flash-backs.. On en parlait, il sortait toute la négativité, me disait tout ainsi qu'au reste de l'équipe juste pour que ça sorte. Et nous on était là pour écouter.. Non, pas pour écouter : pour filtrer. C'était très important, de même que de l'encourager sans cesse… Mais vous ne pouvez pas lui dire " si ça ne se fait pas, ce n'est pas si grave que ça."
Djokovic est arrivé face à Murray sans avoir perdu un set et aime selon son coach jouer Andy. Durant tout le tournoi, la météo a été très mauvaise avec énormément de pluie. "Normalement dans ce type de circonstances dit Novak c'est le joueur le plus calme, le plus lucide qui va avoir un petit avantage. Parce que c'est facile de perdre la tête dans ces conditions : les balles sont mouillées, il pleut, ça glisse. Vous vous échauffez et cinq minutes après, vous avez de nouveau froid. Vous pouvez toujours trouver quelque chose qui vous agace…"
Oui, il la voulait cette victoire à Roland Garros après trois échecs en finale. Il s'est accroché aux ovations de la foule en 2014 après sa finale perdue. Et encore plus en 2015 où l'ovation a été encore plus forte. C'est une des raisons qui l'a motivé pour revenir et pour gagner en se débarrassant de son blocage mental.
." Mais même si Djokovic considère que la pression est un privilège, celle-ci était sans doute moins forte en 2016. " Je pense que Roland Garros a contribué à ma maturité, à ma compréhension de mes capacités mentales et de ma force. En 2016, j'ai senti que c'était le moment parfait pour moi d'y arriver. Mais cette fois, je ne l'ai pas abordé de la même façon, particulièrement dans les derniers tours : je ne me suis pas trop laissé emporter. J'étais enthousiaste d'être en demi-finale puis en finale mais je n'étais pas trop satisfait. Je n'étais ni trop en paix par rapport à ça, ni trop survolté. J'avais trouvé le bon équilibre, et je voulais y rester. C'était un effort! J'ai dû vraiment puiser dans mes expériences précédentes, travailler chaque jour mentalement, écouter ma petite voix intérieure et me convaincre en quelque sorte que je pouvais le faire. Je le sentais et j'y croyais mais en même temps je me disais que si je ne gagnais pas, ce ne serait pas la fin du monde, alors que mon approche était différente les années précédentes où c'était plus maintenant ou jamais..."
Patrick Mouratoglu confirme : " Il est arrivé en étant semi-favori, ayant moins bien joué que d'habitude.. Et je l'ai senti venir plusieurs mois avant : il était très nerveux à l'entraînement, même avant le début de la saison terre battue. Car quand tu commences la terre battue, tu sais pourquoi… Et je pense qu'inconsciemment il s'est enlevé un peu de pression en jouant moins bien que les autres années."
Quand il était plus jeune, il avait vu Gustavo Kuerten dessiner un cœur sur le central de Roland Garros pour célébrer sa victoire et avait depuis rêvé de faire pareil. Il fit un deal avec Kuerten : s'il gagne, il serait autorisé à emprunter ce célèbre cœur. Kuerten a confié après qu'il avait adoré voir Novak dessiner ce cœur sur le court. Il m'avait dit " Si je gagne, je peux? Et j'avais répondu évidemment. Mais je pense que mon cœur était un peu mieux fait. Je lui dirai qu'il doit progresser."…
. " Même s'il a dit qu'il n'aimait pas regarder ses matches, il avoue avoir revu les meilleurs moments. Ceci de nombreuses fois durant les deux mois qui ont suivi : littéralement 80% du temps quand je revois les images, je sens les larmes me monter aux yeux. Je ressens encore ces frissons et toutes ces émotions, et tout mon corps est… Tous les processus chimiques à l'intérieur sont mis en route. J'ai l'impression d'être de nouveau sur le corps. C'est un sentiment magnifique."
Après ce succès, ses résultats ont laissé à désirer. Il s'en explique : "Je n'ai pas vraiment compris la portée de ce que j'avais accompli. Tous ces problèmes que j'ai eus les cinq derniers mois de 2016 sont venus de là. .. Ca aurait été probablement mieux si j'avais vraiment coupé. Prendre du repos, peut-être zapper Winbledon, car j'avais simplement besoin de plus de temps pour recharger mes batteries, et je ne l'ai pas pris…" Peut-être étais-je épuisé mentalement et émotionnellement. Je ne savais pas en fait comment j'allais réagir après ma victoire car c'était très émouvant. J'étais évidemment très heureux, mais d'un autre côté j'étais éreinté aussi et j'avais besoin de temps pour récupérer, pour me retrouver. Et depuis, d'une manière générale, je n'ai pas retrouvé ce plaisir sur le court, qui est la raison même et la source de ma motivation pour jouer au tennis. ". Il lui a fallu retrouver cette joie intérieure et être de nouveau heureux sur le court.
Quoi qu'il en soit, Djokovic a fait preuve d'une très grande force morale après ses trois échecs et y a malgré tout toujours cru. Comme le dit Boris Becker : "C'est très rare pour les gens et les athlètes professionnels de garder autant d'envie pendant si longtemps et malgré des échecs répétés. "
Quand il joue, tout son pays est derrière. Le journaliste serbe Sasa Ozmo explique : "Quand il joue des finales 90% de la population regarde. Et on est à 100% concentré sur l'écran. Avec un peu de superstition aussi par rapport à tout ce qui pourrait lui porter la poisse comme : "Ne bouge pas de cette chaise", il jouait mieux quand tu n'étais pas dans la pièce, va t-en. C'est complètement dingue. " Rien que pour cette raison, il se devait absolument de triompher à Roland Garros…

Bravo à la journaliste Carole Bouchard pour ce beau travail qui nous fait comprendre avec précision pourquoi Novak Djokovic a enfin gagné Roland Garros. Témoignages divers et savoureux affluent et donnent du piquant à ce livre intéressant et poignant…
Agnès Figueras-Lenattier