Kvar Lo
de Sabine Huynh, Caroline François-Rubino (Dessin)

critiqué par Débézed, le 24 octobre 2017
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Recevoir l'hébreu
Lors d’un récent salon littéraire ce recueil a attiré mon regard, c’est un joli objet, grand format (170x240) orné de jolies encres de Caroline François-Rubino, mais ce qui a surtout attisé ma curiosité c’est les mentions habituelles figurant sur la couverture. Le nom de l’auteure qui porte un prénom bien français mais un patronyme qui semble beaucoup plus exotique. La première page nous en dit beaucoup plus :

« Tu es née d’un ventre
Près d’un fleuve rouge »

Je ne connais qu’un seul Fleuve rouge, l’immense cours d’eau qui baigne le Vietnam, le Mékong. J’avais donc en mains un livre écrit par une fille d’origine vietnamienne élevée vraisemblablement en France. Et le titre énigmatique du recueil, « Kvar lo », excitait encore plus ma curiosité. J’ai donc acheté ce livre pour connaître son histoire et découvrir ce que cette auteure voulait nous dire sur son histoire à elle.

Ce livre n’est peut-être pas un recueil mais plutôt un long poème qui évoque l’histoire de l’auteure née au Vietnam, élevée en France avant de partir pour d’autres horizons : la Grande-Bretagne, le Canada, les Etats-Unis et enfin Israël, ce pays qui a donné son titre hébreu à ce livre : « Kvar lo » (Déjà plus) où elle réside maintenant. Tout ceci pourrait déjà constituer la trame d’un vaste roman d’aventure entraînant le lecteur dans un grand périple autour de la planète. Ce livre est bien une quête à travers le monde dans un grand voyage mais l’auteure ne semble pas avoir toujours choisi le parcours ni les étapes de cette odyssée commencée sous la forme d’une fuite pour sauver sa vie.

Sabine Huynh raconte ce voyage comme un parcours à travers les langues qui lui a fallu apprendre ou absorber, selon les cas. La langue c’est ce qui donne l’identité, la culture, la raison d’être, le patrimoine à transmettre, ce qui permet de se construire, de s’insérer dans une société.

« venue au monde sans
mémoire dans l’absence
d’une langue de cœur
Tu es clochette fendue…. »

Elle a voulu se construire

« Te construire
Sur ce kvar lo »

Sans langue maternelle proscrite par la langue des envahisseurs

« Ta mère nouait
gorge et langue, te coupait
vestes carrées, t’exécutait
pulls serrés, te cousait
robes raides

les lèvres »

Elle a cherché une langue où s’installer comme un oiseau cherche la branche où poser le nid qui verra naître ses petits.

« La française, te plier
à sa cadence pour survivre

l’anglaise, s’échapper
sans surveillance, chanter
avec l’espagnole, jouer
avec l’italienne, oser
séduire en suédois »

Alors, elle choisit l’hébreu, « cette langue … sans forme début ni fin flot incessant qui te lave, te réveille »

« Recevoir l’hébreu
C’est (l’)aimer »

C’es la langue qu’elle pourra transmettre à sa fille, partager avec sa fille, vivre avec sa fille dans un monde qu’elle a choisi, dans une culture qu’elle a choisie, s’ « émouvant dans cette langue façonnée pour elle et toi »

On chanterait pendant des heures cette épopée, cette odyssée, dans le monde des langues où Sabine a cherché à oublier qu’elle ne sait pas, écrivant un merveilleux poème plein de douceur et de tendresse même s’il est né dans la pire des violences. Une magnifique page d’amour et de littérature.