Les chroniques de Zhalie
de Yan Lianke

critiqué par Tistou, le 14 octobre 2017
( - 67 ans)


La note:  étoiles
Mythoréalisme, dit-il …
Dans une préface, « Chine, littérature et mythoréalisme » (d’après une formulation imaginée par Brigitte Duzan), Yan Lianke se montre étonnamment disert et clair sur la difficulté qu’il rencontre, sur celles que rencontrent les auteurs chinois, dès lors qu’ils veulent se montrer un tant soit peu critiques du mode de fonctionnement du régime actuel ou de la situation réelle du pays. Il l’explique dans la préface :

« La Chine contemporaine s’est lancée à bride abattue dans la course pour faire mieux, et plus vite, que l’Europe et les Etats-Unis en deux siècles. En conséquence de quoi il n’y a plus ni règles ni processus, la fin les a remplacés. Des raccourcis qui ne trient plus parmi les moyens sont devenus développement, richesse, héroïsme, l’échelle et l’intelligence qui mènent à la réussite. Pouvoir et argent se sont unis pour pervertir les âmes. C’en est au point que sur cette vieille Terre peuplée d’un milliard quatre cent millions d’habitants il n’est pas un jour, pas une heure où ne se produise quelque évènement tellement alarmant qu’on n’en finit pas de le ruminer. Elle s’en pare d’une absurde complexité, devient le théâtre d’un chaos confus où de la beauté et de la laideur, de la bonté et de la cruauté, du bien et du mal, de la fiction et de la réalité, de ce qui a de la valeur ou ne fait pas sens, il n’y a plus moyen de juger, pas plus que de démêler ce qui relie entre eux ces faits et ces incidents. Toutes les explications que l’homme pourrait y trouver restent aussi silencieuses que des aimants pointés vers la terre nue, avec un magnétisme aussi disparu que le météorite qui s’est abîmé dans l’océan.
…/…
Les évènements s’y produisent selon des principes et des règles que nous ne discernons pas, que nous n’arrivons pas à toucher du doigt, que nous ne pouvons même éprouver.
Telle réalité procède d’une nouvelle logique, de nouvelles manières de raisonner.
D’une forme d’existence commune qu’on peut qualifier de « mythoréaliste ».
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La réalité chinoise nous contraignait à une nouvelle forme d’écriture.
Cette réalité, cette histoire qu’aucune logique ne venait justifier ont provoqué l’accouchement de la littérature dite « mythoréaliste », soit une manière littéraire originale de montrer une réalité invisible, de la mettre en évidence alors qu’elle est dissimulée, de la décrire quand elle est « inexistante ».
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Le mythoréalisme n’a pas été créé en tant que doctrine, il n’est né ni du cerveau de l’auteur ni de sa plume, mais provient intégralement des individus et des faits d’une réalité chinoise que son absurdité ordinaire rend irrationnelle aux yeux du monde. »

Mythoréalisme donc. Vous voyez « Cent de solitude », de Gabriel Garcia Marquez ? Imaginez – le assaisonné à la sauce chinoise, replacé en contexte chinois, et vous trouverez une terrible parabole qui n’hésite pas à emprunter au merveilleux, à la magie s’il le faut, pour dérouler son propos.
Et le propos des « Chroniques de Zhalie » c’est quoi, me demanderez – vous ? C’est une histoire passionnante qui raconte le passage ultra rapide d’un village rural montagnard (du Henan par exemple !) de deux cents âmes à une méga métropole de 20 millions d’habitants sur quelques dizaines d’années par la mise en œuvre d’une ambition féroce, démesurée et sans limites d’un jeune homme, Kong Mingliang, voleur de son état au début de son ascension, qui s’associe – pour l’exploiter en fait – à Zhu Ying (de la famille Zhu ennemie des Kong), prostituée et géniale tenancière de maison de plaisir à ce moment. Oui, c’est de là que part la prospérité de Zhalie.
Kong Mingliang et Zhu Yin sont les deux fils rouges de cette histoire. Leurs ascensions et chutes respectives sont les détonateurs de cette « mythoréalité » invoquée par Yan Lianke.
Mais Zhalie n’est que l’habit de la Chine en réalité et ce que nous décrit Yan Lianke, c’est comment ce pays, au mépris de toute morale, au mépris des moyens (pourvu qu’importe la fin), a conduit un développement inouï et probablement dangereux pour tout le monde.
L’importance de l’argent, telle qu’elle est décrite dans tous les romans de Yan Lianke que j’ai pu lire, ne fait pas défaut dans « Les chroniques de Zhalie » et a remplacé ce que nous autres Européens respectons encore : au moins une certaine « morale ». Quand l’absolutisme est au pouvoir, il est vrai qu’il est plus facile de s’abstraire de toute morale. Pourvu que le gain financier, gain de pouvoir soit à l’arrivée alors trahissons, renions et que vogue la galère !
L’écriture, bien que parfois très onirique, est parfaitement adaptée au discours. La lecture de cette histoire singulière est très prenante et en dit long sur ce pays si mal connu. En même temps, le mieux connaître n’est pas forcément rassurant !