La Blonde: Les icônes barbares de Pierre Soulages
de Lydie Dattas

critiqué par Septularisen, le 8 octobre 2017
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
Et dort dans les draps noirs des illuminations.
La Blonde (en fait un synonyme de la lumière au XVIIe Siècle), est un hommage, et bien plus je dois dire, au peintre Pierre SOULAGES, à qui la poétesse Lydie DATTAS voue une admiration sans limites.

Et lui a donc écrit ce petit livre de poèmes en prose – une petite centaine de pages -, composés de petits textes, d’une page et demie, sans titre, qui se suivent, avec très peu de virgules et de points, et qui semblent être comme des commentaires sur certains tableaux, comme si la poétesse regarde un tableau et en fait une critique, une photographie commentée. Attention, c’est tout sauf une étude! C’est plus une sorte de «méditation poétique », parfois un peu répétitive et un peu trop martelée – sans doute le seul point négatif du livre je dois dire -, sur la notion de peinture et ici spécifiquement de peinture noire et de la lumière qui s’y reflète.
Elle nous parle notamment de ces grands coups de lame (nature guerrière de cette peinture), que le peintre donne sur l’acrylique noir, pour lui donner des « cicatrices » et ainsi accrocher la lumière. Elle nous fait dès lors entrer dans l’œuvre du peintre d’une façon tout à fait inhabituelle, par l’émotion esthétique, par la beauté de l’ordre – presque militaire – qui s’y trouve.

C’est très beau, la langue est choisie, ciselée, les mots sont choisis, forgés. J’ai notamment beaucoup apprécié les différentes façons de parler de la peinture de Pierre SOULAGES. Ainsi p. ex. Lydie DATTAS nous parle des «icônes barbares», mais aussi des «icônes byzantines», des «guerriers sacrifiés», des «géants bitumés», du «roi barbare», du «maître du noir», le «Visionnaire du Noir», la «nuit noire», le «Voyant», le «grand Prêtre» qui préside du «miracle outrenoir», le «soudeur d’astre», le «fauconnier solaire», les «nuits rectangulaires»…

Ce sont des textes très profonds, qui semblent venir d’un abîme aussi profond et aussi noir que celui de la couleur fétiche du peintre dont Lydie DATTAS fait l’éloge. C’est fulgurant, direct, fort, violent, sans fioritures, brut de décoffrage. Mais disons-le sans hésitation, très beau, et sans aucun doute l’œuvre d’un des plus grands poètes français de notre époque. Dommage que Lydie DATTAS soit si peu connue et si peu lue.

Laissons la parole au poète :

Le MIRACLE OUTRENOIR apparaît dans un monde qui s’enténèbre de clarté. Né du ratage d’une toile il fait de l’imprévisible son dieu. Plus stupéfiant que les paysages de lave noire de Mars ou que le soleil de minuit, sa vérité changeante défie la logique des savants. Dans la classe d’où l’écriture à la main est bannie, sous l’éclairage nazi des écrans, l’enfant acalculique est désigné clochard. Braquant sur l’Éternel le projecteur des gardes à vue, la science le soumet à la question, réduisant la foudre à un phénomène électrique et l’amour à une composante chimique. Chaque fois qu’un scientifique dissèque une goutte d’eau ou crucifie une étoile, le maître épaissit leur mystère, retrouvant le processus de la création pour transcender par l’esprit. quand le progrès rétrécit l’univers la Blonde en fait craquer les coutures, faisant fleurir ses bourgeons de réserve. Ignorant les fausses preuves de l’inexistence divine, les Barbares s’émerveillent des astres tournant dans le vide nocturne comme des boules de Noël. Dans la salle d’autopsie du musée, les conservateurs décrivent les saintes écorchures du tableau avec une minutie de médecins légistes. Sur la table d’acier l’Inconsolable ardoit de toute sa blondeur d’ange.