Une affaire d¹États: Octobre 1995, le juge Borrel est assassiné
de David Servenay (Scénario), Thierry Martin (Dessin)

critiqué par Shelton, le 30 septembre 2017
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
Quand la bande dessinée s'occupe d'affaires judiciaires...
La bande dessinée s’attaque maintenant, depuis quelques années, à tous les sujets, sans aucune exception. Il n’est donc pas étonnant d’avoir vu quelques bonnes bandes dessinées politiques et citoyennes comme Député, Désintégration, Le château ou Jusque-là tout est normal pour n’en citer que quelques-unes… Mais, dès que l’on approchait les affaires judiciaires non terminées on sentait une petite résistance, frilosité ou prudence… C’était légitime car il fallait s’engager totalement ce qui n’est jamais simple pour un auteur ! Cette fois-ci, avec Une affaire d’états, bande dessinée de David Servenay et Thierry Martin, on va franchir un cap supplémentaire et la bande dessinée en question rejoint le travail de Denis Robert, Yann Lindingre et Laurent Astier, L’affaire des affaires…

Je me souviens très bien de l’annonce, assez discrète, du suicide de ce juge Borrel à Djibouti. Quelques secondes dans le journal de France Inter et ensuite rien de particulier. C’était un suicide, il fallait laisser la famille avec sa peine… Oui, c’était compréhensible mais très vite sa femme, Elisabeth, ne croit pas au suicide… L’affaire n’était pas si nette…

Les auteurs de la bande dessinée, à commencer par le scénariste David Servenay, journaliste qui a suivi l’affaire presque depuis ses débuts et qui en a perdu son poste à Radio France Internationale, vont tenter de nous expliquer les données factuelles de l’affaire, les raisons qui vont écarter la thèse du suicide, puis les preuves du crime – et leur destruction – pour arriver, enfin, à annonce de la mort du juge Borrel en service. Il est ainsi le troisième juge français à mourir dans l’exercice de ses fonctions durant la Cinquième République…

Comme l’affaire n’est pas terminée, les auteurs énoncent trois hypothèses qui pourraient expliquer cet assassinat commandité par des politiques, des politiques de Djibouti et de France, d’où cette affaire « d’états » au pluriel…

J’ai beaucoup aimé cette bande dessinée car elle est très journalistique et pédagogique, c’est une remarquable vulgarisation d’une affaire judiciaire complexe et les auteurs ne se sont pas accordé de facilités en ne donnant que le factuel, le prouvé… Ce n’est pas toujours extraordinaire pour en faire le sujet de bédé mais c’est vrai, c’est juste, c’est bien…

Précisons que la première version de ce récit avait été publiée dans la Revue Dessinée qui est le lieu où ce journalisme en bédé a pris – sinon naissance – ses lettres de noblesse. Il est important de comprendre qu’il s’agit là d’un travail journalistique, d’une enquête complète et sérieuse, rigoureuse et professionnelle… Oui, la BD peut être aussi journalistique, citoyenne, républicaine… et cela me fait du bien de découvrir de tels ouvrages… Si, rien n’est définitivement perdu et tout n’est pas encore pourri dans notre pays… enfin tant qu’il restera des auteurs de ce niveau pour prendre des risques, des éditeurs pour permettre ces livres et des lecteurs citoyens pour les lire !

Un petit mot aussi pour dire mon admiration pour Elisabeth Borrel qui se bat pour la vérité, pour savoir pourquoi son mari a été assassiné sans jamais fléchir… Beau courage et j’espère que bientôt on saura, que certains documents classifiés « défense » seront remis à la justice, que certains parleront avant de tout emporter dans leurs tombes…

Une bande dessinée salutaire pour la République et la Justice !