Une vie
de Italo Svevo

critiqué par Poet75, le 20 août 2017
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Pessimisme et ironie
Bien que très peu prolifique, Italo Svevo (1861-1928) est considéré aujourd’hui, à juste titre, comme un des grands romanciers du XXe siècle. Pourtant, il n’a écrit que trois grands romans, le troisième seul lui ayant apporté le succès : « La Conscience de Zeno », chef d’œuvre écrit en 1923, 5 ans avant sa mort. Auparavant, il avait publié « Une Vie » en 1892 et « Senilità » en 1898, qui fut un échec critique et commercial au point que Svevo renonça à la littérature pendant plus de vingt ans.
Comme dans ses deux romans ultérieurs, l’écrivain italien raconte, dans « Une Vie », l’histoire d’un antihéros, Alfonso Nitti, un homme dont les illusions de réussite finissent toutes par s’effondrer. Quittant sa terre natale, laissant sa mère, il vient s’établir à Trieste et se voit contraint, pour subsister, d’accepter un travail peu gratifiant et peu rémunéré dans une banque. Assez bien noté cependant, au point qu’il est un jour invité chez le banquier en personne, il y noue une amitié avec un certain Macario, jeune homme ambitieux, et y rencontre une jeune fille de bonne famille prénommée Annetta avec qui il ne tarde pas à nouer une relation, au départ purement intellectuelle. Les deux jeunes gens, en effet, tous deux passionnés de littérature, s’attellent à la rédaction d’un roman écrit à quatre mains. Tout semble sourire à Alfonso qui rêve de gloire littéraire, d’un travail mieux payé et, bientôt, car il se laisse vite toucher par ses charmes, d’un possible mariage avec Annetta. Mais l’intraitable Svevo n’accorde rien à son antihéros : au gré des circonstances et des nécessités (l’obligation de retourner dans sa région d’origine pour être au chevet de sa mère mourante, par exemple), Alfonso se retrouve dépossédé de tout ce qu’il convoitait, y compris d’Annetta qui s’est fiancée à Macario. A la fin du roman, il ne lui reste rien et le choix qu’il fait est le plus désespéré de tous.
Italo Svevo était un écrivain sombre et foncièrement pessimiste, c’est vrai. Et l’on devine que, dans « Une Vie », il a mis beaucoup de lui-même, de ses propres difficultés et de ses propres doutes. Comme Alfonso, son personnage, il rêvait de gloire littéraire tout en se défiant fortement de ses capacités auxquelles il ne croyait guère. Il lui faudra attendre bien des années encore, jusqu’à la parution de « La Conscience de Zeno » pour être enfin reconnu comme un grand écrivain. A l’époque d’ « Une Vie », il n’en est qu’à ses débuts et n’ose croire en ses talents. Ils sont pourtant réels et, si « Une Vie » ne peut prétendre au rang de chef d’œuvre comme « La Conscience de Zeno », ce n’en est pas moins un roman aux qualités d’écriture et de construction tout à fait remarquables. Quant au personnage d’Alfonso, tout empêtré dans ses maladresses et ses incapacités, il n’en est pas moins émouvant. Svevo le rend attachant, d’une certaine façon, en adoptant un ton distancié, voire ironique, qui atténue le caractère foncièrement pessimiste de l’œuvre.