Janice Winter
de Rose-Marie Pagnard

critiqué par Sahkti, le 3 mai 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Perte de ses rêves
J’ai découvert Rose-Marie Pagnard avec "Dans la Forêt la mort s’amuse", un roman intimiste qui mêlait peur et beauté. Une douceur feutrée que je retrouve dans Janice Winter, une trentenaire qui se souvient, vingt ans plus tard, d’un drame survenu pendant l’été 1982. Sa sœur Léa a voulu mourir, toute la famille s’est retrouvée plongée dans l’angoisse et la douleur. C’est la cassure, la famille est psychiquement démunie, les fillettes sont éloignées progressivement de leurs parents. Si au début du récit, l’héroïne s’exprime à la première personne, Rose-Marie Pagnard lui insuffle ensuite une distance irréversible, on devine l’éloignement à chaque page tournée. Les parents sont perdus, le père ne sait plus ce qu’il fait, la mère tente de le préserver, les enfants assistent, impuissants, à la déchéance des esprits.
Nous entrons de plain pied dans l’histoire de la famille, dans cette grande maison accueillante, rue des Foudres, habitée par la grand-tante Sommer, ancienne cuisinière de l’ambassade soviétique. Maître Winter, le papa de Léa et Janice y possède son étude. On découvre dans le texte que vingt ans plus tôt, Somer a mis au monde un garçon prénommé Horst, "conçu dans un éclat de rire". Ce fils s’enfuit à 18 ans, emportant avec lui les bijoux et l’argent de la famille. Ce n’est pourtant pas un voleur. Il répond à une voix secrète qu’il entend au fond de la tête et qui lui dit de "déplacer en secret les objets qui aimeraient trouver leur vraie place dans ce monde". Huit années ont passé depuis le vol, Horst revient avec l’espoir de faire revenir à lui ce père inconnu. Léa et Janice deviennent ses amies, ses confidentes, ses complices. Subjuguées par le magnétisme de ce jeune homme blond, elles l’accompagnent sur le chemin non pas du vol, mais de la remise en place des choses dérangées. La vie prend une autre saveur pour les filles, tout leur semble merveilleux, elles ignorent que le drame les attend au tournant. Janice découvre l’amour et la jalousie, la folie, la trahison, mais surtout la mort et le deuil. Tout cela est trop lourd pour elle, elle n’arrive pas à porter le poids de ce monde adulte qu’elle affectionne et qui l’effraie. Elle tente de préserver ses parents de la souffrance, mais comment une petite fille pourrait-elle réussir une telle tâche ? Le père surveille sa fille, la mère tue le temps en coupant des fleurs, les deux gamines semblent insouciantes, hypnotisées par un illuminé qui leur volera leurs rêves d’enfant. La Tante Somer meurt après une chute au cinéma, Léa succombe à sa folie. Cruel passage qui associe le bruit du bouchon de champagne bu pendant ces interminables fêtes familiales destinées à faire croire que tout va bien, avec le bruit du couvercle du cercueil de Léa que l’on visse en grinçant.
Cruel et dur, un regard cynique sur le rôle de l’imaginaire et sur l’influence que l’on peut exercer sur des êtres en perdition.