On a beau dire
de Robert Momeux

critiqué par Eric Eliès, le 25 juin 2017
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Une poésie grave et sereine, où passent les ombres du temps et de la mort
Est-ce une anthologie ? On pourrait le penser car l’écriture des poèmes de ce petit recueil, qui se lit d’un seul jet en 1 heure à peine, s’étale de 1974 à 1988. Pourtant la cohérence des poèmes, qui se font écho et ressassent la même mélancolie sereine, compose un ensemble remarquablement homogène comme si l’inspiration du poète avait enjambé les années.

Les poèmes, écrits en courts vers libres d’une grande simplicité formelle, sans aucune afféterie stylistique, produisent le même effet que la contemplation de photographies anciennes aux couleurs sépia, à la fois familières dans la saisie d’un instant de vie où l’on croit reconnaître un visage et mystérieuses par la distance qui nous sépare de ces moments jaillis du passé. Ces poèmes, qui évoquent en arrière-plan la vie campagnarde et le passage inexorable du temps, brossent des portraits mouvants, plein de frémissements, qui se métamorphosent lentement, comme un paysage de fin d’après-midi où des ombres glissent en s’épaississant et envahissent progressivement l’espace…

Le caquet de la poule dans la torpeur d’été
Quand midi frémit à peine
Juste à la verticale de l’éternité
Vrille sa douce mélancolie
dans l’immobilité de l’air
Tandis qu’à l’ombre du vieux mur / près du rosier
Sur l’escabelle de bois ciré
l’enfant coud à gros fil
Quelque robe de poupée
Qu’aux greniers futurs on verra guenille

La vieillesse et la mort (tout aussi bien celles des hommes que des animaux) sont omniprésentes, et parfois la douleur ou la colère (comme celle du paysan harassé éprouvant sa solitude dans les travaux des champs). Pourtant, c’est un sentiment d’acceptation paisible qui sourd des poèmes, même quand ils s’intitulent « paysage d’agonie », « pesanteur du noir » ou « source des craintes ». Aucun mouvement de révolte ne s’amorce dans ces poèmes où la mort paraît familière, comme une présence dont les frôlements s’insinuent dans les pensées et les gestes et étreignent le cœur de questions sans réponse. Quelque chose tressaille dans ces poèmes, comme une angoisse existentielle qui fait frissonner en même temps qu’elle émeut. La poésie de Robert Momeux est très belle et très humble à la fois ; elle pénètre, avec gravité et pudeur, au cœur de l’intime et, sans grandiloquence ni véhémence, rend hommage à la fragilité de nos vies et en souligne la beauté douloureusement mystérieuse et fugace…

Ma mère est partie à son tour
Elle s’en est allée dans la nuit
Toute seule
Dans le noir de la nuit
Sans rien dire
Sans appeler quiconque
Ou alors nous n’avons rien entendu
Elle est partie sans se retourner
Ou alors nous n’avons rien vu
Et maintenant dans l’ombre nous cherchons
Ce qui ressemble à l’ombre qu’elle faisait
Sur la terre
Quand le soleil l’inondait visible
Quand le soleil la désignait