Un marin chilien
de Agnès Mathieu-Daudé

critiqué par Fanou03, le 6 juin 2017
(* - 48 ans)


La note:  étoiles
Rencontre du troisième type
Alberto, chilien et protagoniste principal de ce roman, n’est en fait absolument pas un marin: géologue, il est missionné par son université pour aller observer la probable éruption prochaine d'un volcan islandais. A peine arrivé sur l'île, il tombe sous le charme de la belle Thorunn. Mais l'ex-mari de celle-ci, l'irascible Thorvardur, qui n’a jamais digéré son divorce, n’entend pas laisser un autre homme, étranger de surcroît, tourner autour de Thorunn.

Un Marin Chilien scrute avec attention, sans détour, mais avec tendresse, l’âme rude du peuple islandais: à travers les caractères dont elle dresse le portrait, Agnès Mathieu-Daudé témoigne de son amour pour ce pays et pour cette culture. Malgré une certaine propension à dresser des archétypes (Thorvardur, le marin alcoolique; Björn, le fermier solitaire; Ekkla, la mère revêche; Thorunn, la femme magnétique), la romancière parvient cependant, par la grâce sa prose, à nuancer ces figures, à leur apporter du relief et de l'humanité.

Il fallait bien, pour mettre en exergue la singularité de la civilisation islandaise, un narrateur complètement étranger à ce pays. En la matière, la romancière n’a pas fait les choses à moitié, en envoyant, à l’autre bout du monde, Alberto le chilien se frotter à la psychologie viking. L’incongruité de cette rencontre permet avec beaucoup de bonheur de pointer les différences culturelles, mais également leur convergence (je pense à l’épisode où Alberto ingurgite, sans broncher, la traditionnelle tête de mouton grillée islandaise, qui se trouve être, par le hasard du monde, un plat également apprécié des indiens mapuche, l'ethnie d'origine du jeune homme).

Au-delà d’un hommage à l’Islande et la réjouissance d’une rencontre pour le moins exotique, il me semble que le socle fondamental du livre se révèle être malgré tout les questionnements relatifs à l’Amour. Si ce qui concerne les méandres des sentiments amoureux n'est pas oublié, c’est l’amour filial, et ses difficultés, universelles, qui occupe surtout, à travers leurs fêlures, les protagonistes, que ce soit à travers le trio Hekkla / Thorvardur / Björn ou bien le passé d’enfant abandonné d’Alberto.

Tout cela fait que le récit, malgré un ton souvent décalé, est plutôt grave, doux-amer, dans son ensemble. Le style d’Agnès Mathieu-Daudé est d’ailleurs largement introspectif, même si elle a su avec intelligence semer suffisamment de péripéties (parfois drolatiques) pour rythmer le scénario. Un Marin Chilien s’avère un beau roman, une belle découverte. L’écriture est soignée, ample, et déroule, sur la terre isolée de l’Islande, toute l’âpreté des tourments humains.