Les mensonges de la mer
de Kaho Nashiki

critiqué par Débézed, le 24 avril 2017
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Le chemin au bout du sentier
C’était avant la guerre, Akino était encore étudiant en géographie humaine, science qui, au Japon, semble déborder sur bien d’autres disciplines : l’anthropologie, l’ethnologie, l’éthologie, l’écologie, l’histoire, …, quand il a décidé de passer ses vacances sur la petite île d’Osojima au sud de Kyushu, la plus méridionale des quatre grandes îles qui constituent l’archipel nippon. Grâce au couple de vieux pêcheurs qui l’héberge, il peut prendre contact avec des habitants de l’île qui l’aident à découvrir cette île qu’il voudrait mieux connaître afin de terminer une étude commencer par son ancien maître et jamais achevée.

Il part ainsi avec un jeune autochtone sur les sentiers de l’île où, selon les documents remis par un vieux marin retraité dans ces montagnes, il retrouve les vestiges de nombreux temples et lieux de culte édifiés par une secte bannie plusieurs siècles auparavant. Ces lieux de culte ont été ruinés à l’époque du Shugendo, la séparation du shintoïsme et du bouddhisme, quand en 1872 le pouvoir Meiji a voulu rompre avec les religions étrangères en débarrassant le shintoïsme de toutes les influences extérieures pour que le socle religieux du pouvoir soit purement nippon.

Akino et son guide parcourent ainsi les sentiers désertés de l’île où ils ne rencontrent guère que des chèvres et des saros, découvrant de nombreux indices concordant avec les bribes de légendes qu’ils ont recueillies, reconstituant ainsi peu à peu l’histoire de la présence sur cette île d’une civilisation spirituelle vivant dans une stricte ascèse. En essayant de comprendre ces légendes et leur matérialisation dans le paysage, ils découvrent non seulement une civilisation mais également le sens des coutumes et traditions locales, une parcelle de l’histoire du Japon un peu oubliée sur cette île peu peuplée et isolée des voies de communication. Quand au bout de leur périple autour d’Osojima, ils rencontrent le vieux marin et son secrétaire, ils comprennent pourquoi ils se sont posé certaines questions en mettant leurs découvertes en rapport avec la spiritualité ancestrale encore très prégnante chez les plus anciens occupants de l’île.

Ce livre me semble être plus qu’un roman, il déborde sur l’histoire, la philosophie, la spiritualité, l’écologie, tout ce qui relie l’homme à son milieu et donne un sens à sa vie. Bien longtemps après, quand la guerre aura semé le deuil, qu’un pont sera érigé entre la petite île et Kyushu permettant aux touristes de visiter ce lieu enchanteur, l’étudiant en géographie qui n’a jamais terminé l’étude ébauchée par son maître, reviendra sur l’île où il constatera bien des changements le troublant, le désespérant même. Mais, enfin il comprendra ce qui lui manquait pour conclure cette étude, la clé qu’il avait longuement cherchée et qui maintenant était la bien présente dans son esprit.

C’est un bien beau texte, délicat, plein de douceur et de spiritualité, on croit même y ressentir le souffle spirituel de l’ascèse du Shugendo. Un texte qui pose de nombreuses questions : quelle importance faut-il accorder au passé ? Le passé est-il nécessaire à la construction de l’avenir ? L’homme a-t-il besoin de connaître ses racines pour vivre pleinement sa vie ? La liste n’est pas close, l’auteure la laisse ouverte en abandonnant le lecteur au bout du chemin avec tout ce qu’il a pu récolter tout au long de cette belle lecture. Le vieux géographe, lui, a fini par comprendre le message des mirages, les mensonges de la mer, en méditant cette maxime sibylline « La forme est vide. La vacuité est forme ». Chaque lecteur cherchera sa voie à travers ces quelques mots… Bon voyage à tous !