Des légumes
de Jean-Marie Pelt

critiqué par Eric Eliès, le 8 avril 2017
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Histoire des légumes et autres plantes potagères et perspectives (un peu inquiétantes) sur l'agriculture
Faut-il que Jean-Marie Pelt soit un écrivain érudit et doué pour, sans aucune photographie ou planche illustrée, parvenir à passionner son lecteur à l’histoire ignorée des plantes potagères (dont le nom vient du "pot" dans lequel on les préparait) !

Le livre comporte deux parties bien distinctes :

La première, qui n’est pas exempte de quelques descriptions un peu fastidieuses (des illustrations auraient aisément permis d’alléger le texte !), est constituée de monographies présentant les grandes familles de légumes, leur histoire et leurs vertus, supposées ou réelles, tant nutritives que médicales. Les plantes potagères ont toujours été cultivées dans cette double optique, en les considérant à la fois comme des aliments et comme des médicaments dont les propriétés se déduisaient, par procédé sympathique, du goût ou des apparences de la plante. JM Pelt, qui est avant un botaniste scientifique, confirme ou infirme les propriétés traditionnellement reconnues de certaines plantes, de manière parfois surprenante : ainsi, j’ignorais les vertus médicinales, spécifiques et importantes, de l’artichaut ! Toutes les monographies sont comme les portraits généalogiques de familles dont l'auteur serait familier ; elles sont riches d’anecdotes, parfois célèbres (comme la volonté de Charlemagne d’organiser partout dans son empire des carrés potagers destinés à assurer une alimentation suffisamment riche et diversifiée, les efforts de Parmentier pour diffuser la culture de la pomme de terre et la volonté de Napoléon d’encourager la betterave sucrière afin de concurrencer le sucre de canne britannique) ou parfois ignorées du profane (comme l’origine du mot topinambour (qui provient de la tribu amérindienne des « Topinambus »), la passion de Louis XIV pour les légumes en général et les petits pois en particulier, la méfiance qu’ont longtemps suscitée la tomate et l’aubergine jugées trop proche des solanacées (belladone, datura, etc.) produisant des baies toxiques, les secrets jalousement gardés par les pays producteurs pour protéger leur savoir-faire (l’endive de Belgique par exemple), la mauvaise réputation du melon (seul légume-fruit originaire d’Afrique australe) accusé d’avoir causé par indigestion la mort de plusieurs papes et rois, etc.). A la lecture de l’ouvrage, qui puise ses références aussi bien dans la Bible que dans les récits d’exploration ou les chroniques de jadis, il apparaît que toutes les grandes campagnes militaires ou mouvements migratoires ont été accompagnés d’une diffusion de plantes et légumes. L’Europe a ainsi fortement diversifié son alimentation, à tel point qu’au 19ème siècle près de deux cents légumes différents étaient cultivés et consommés ! L'Europe a davantage reçu que donné : le seul apport de l’Europe aux cultures maraîchères du reste du monde est constitué du chou et du céleri, qui étaient à l’origine des plantes endémiques du continent européen… JM Pelt souligne les capacités nutritives de plusieurs plantes, notamment la betterave et le soja qui sont des « monstres » d’efficacité pour convertir, par la photosynthèse, les richesses du sol en glucides ou en protéines. Les cucurbitacées sont également des « monstres » mais uniquement par la taille que certaines variétés peuvent atteindre : plusieurs centaines de kilos ! Curieusement, l’ouvrage évoque brièvement les céréales mais n’aborde pas d’autres plantes essentielles, comme le riz qui est pourtant considéré comme la cause de l’extraordinaire densité de population en Asie, qui a toujours été le continent le plus peuplé.

La seconde partie, précédée d’une brève introduction en tête d’ouvrage, évoque l’agriculture, qui est née il y a environ 10/12000 ans parallèlement en plusieurs régions du monde, et ses perspectives de développement. En fait, dès les premiers temps de la sédentarisation (sans doute due au fait que l’homme a constaté que ses campements, où il abandonnait les reliefs de ses repas, étaient très fertiles), l’humanité a orienté, par la sélection des meilleurs spécimens (en ne replantant par exemple que les semis issus des plantes donnant les plus gros fruits, etc.), la transformation de plantes sauvages en plantes domestiques qui seraient incapables de survivre sans le soutien de l’homme. Il a également profité des croisements d’espèce végétale permis par la proximité des cultures. Néanmoins, les légumes ont longtemps constitué une alimentation secondaire (même si la Bible, notamment lors de l’Exode dans le désert, est pleine de célébrations des légumes), par rapport à la viande jugée plus noble et plus consistante. En fait, la terre a longtemps été considérée comme un espace souillé et l’air comme le monde de la spiritualité. Pour cette raison, les légumes racines étaient méprisés, réservés aux plus pauvres ou aux périodes de disette, tandis que les légumes-plantes, et surtout les légumes-fruits, étaient davantage appréciés. Ces derniers étaient d’ailleurs cultivés dans des jardins clos tandis que les légumes racines, comme les plantes céréalières, étaient cultivés en champs ouverts.

La fin de l’ouvrage, qui se rattache à cette seconde partie, analyse les méthodes de l’agriculture moderne et dresse un constat accablant des effets du productivisme agricole. JM Pelt évoque les dangers des insecticides et herbicides (nota : en revanche, tout en évoquant une finalité dévoyée par l'industrie [le livre, écrit 1993, ne cite pas Monsanto mais les sociétés "Calgen" (USA) et "Plan Genetic System" (Belgique)], il ne semble pas fondamentalement hostile au principe des manipulations génétiques) mais il insiste surtout sur la perte de la variété des espèces cultivées (nous sommes passés en un siècle, entre la fin du 19ème siècle et la fin du 20ème siècle, de 200 espèces de légumes cultivées à une trentaine, alors qu'il existe plus d'un millier d'espèces consommables) et sur les méfaits des engrais, dont les effets accélèrent la croissance des plantes et, paradoxalement, appauvrissent les sols malgré leurs apports en azote, potassium, etc. Les plantes issues de l’agriculture intensive, malgré leurs belles taille et apparence, sont fortement carencées en vitamines et autres constituants issus du métabolisme secondaire spécifique aux végétaux. En outre, leur transformation par l'industrie chimique (raffinage, etc.) accentue leur pauvreté nutritionnelle. En conséquence, et sans même parler de "mal-bouffe", Jean-Marie Pelt établit explicitement un lien causal direct entre l’agriculture intensive et l’augmentation du nombre des cancers constatée dans les sociétés modernes. Il regrette que la recherche scientifique soit focalisée sur le métabolisme primaire (glucides, lipides, protides, oligo-éléments) et sur les traitements curatifs et plaide, de manière convaincante, pour que la nourriture soit considérée, ainsi que dans les philosophies asiatiques, comme un facteur essentiel de prévention des maladies. Il se félicite de l'engouement (encore naissant dans les années 90) pour l'agriculture biologique et les légumes d'autrefois et encourage le développement des initiatives locales, en citant en exemple le domaine de Balandron près de Nîmes.

Néanmoins, comme l’ouvrage date de 1993, on sent que ces thèses, même si l’auteur est médiatiquement connu et scientifiquement reconnu, peinent à véritablement s’imposer auprès des pouvoirs publics et des syndicats agricoles français, qui défendent toujours un modèle productiviste obnubilé par la capacité d’exporter sur les marchés internationaux plus que par la santé des consommateurs.