L'avenir en commun - Le programme de la France insoumise et son candidat
de Jean-Luc Mélenchon

critiqué par Numanuma, le 7 avril 2017
(Tours - 51 ans)


La note:  étoiles
RDV dans les urnes
Je me demande si on en touche pas là aux limites du truc… Un programme politique… En général, c’est pas bandant. C’est pas forcément bien écrit, c’est rébarbatif, pas toujours facile à comprendre et là, en plus, c’est carrément du Power Point ! En effet, si l’introduction du bouquin et la présentation de chaque chapitre est laissée à la plume de Mélenchon, candidat reconnu comme étant plutôt du genre cultivé, le contenu lui, est ramené à une expression beaucoup plus sommaire : titre, sous-titre, points. Autant dire que si c’est fastidieux à lire, au moins, les idées sont clairement exprimées, sans enrobage didactique ou philosophique. Evidemment, on peut toujours regretter cette partie théorique mais on la trouvera dans les autres ouvrages du sieur Mélenchon.
Avant de bloquer les réfractaires, il faut dire que Mélenchon y met du sien pour susciter des sentiments mélangés de fascination et de ras-le-bol, ses éclats verbaux étant la marque de fabrique du bonhomme, je ne vais pas jouer les militants. Je n’ai pas pour objet de faire voter Mélenchon. Simplement, après de nombreuses années sans glisser mon bulletin dans l’urne - à l’attention de ceux qui me connaissent bien : il n’y a aucune connotation sexuelle dans cette phrase - j’ai décidé de me réinscrire sur les listes.
Et après bien des années à regarder la vie politique de loin, avec le sourire mi amusé, mi dégoûté de ceux qui ont vu un ministre se suicider sur les bords d’un fleuve à Nevers, de ceux qui voient Balkany réélu régulièrement en trainant une batterie de cuisine derrière lui, de ceux qui espèrent ne jamais voir une blonde à chemise brune gravir le perron de l’Elysée, j’en passe, je me suis mis à regarder au moins un programme.
Je n’ai pas vraiment choisi le bouquin Mélenchon, je suis tombé sur son bouquin en cherchant autre chose et à 3 euros, j’ai pris. Je rassure tout le monde, je ne vais pas critiquer tous les programmes existants mais j’espère pouvoir en présenter au moins un autre ici, histoire de n’être pas taxé de parti pris.
Avant tout, pour bien comprendre la pensée du candidat, il faut se pencher sur un autre de ses ouvrages : De la vertu, tout récemment édité, qui est, en quelque sorte, le pendant théorique et philosophique de son programme. Pour Monsieur Mélenchon, la condition première de l’évolution de la société, est la vertu. Je n’y mets pas de majuscule car il n’y a pas de transcendance ici, pas de conception religieuse, encore que… La vertu, selon M. Mélenchon, qui, lui, use de la majuscule, est « est une exigence qui s’impose, quelle que soit la morale dont on se réclame […] A partir de là, on doit dire de la Vertu qu’elle est un principe d’action gouvernant la vie en société. Un principe conforme à l’intérêt général, qui est bon pour tous quand il est mis en œuvre ». Et plus loin « La Vertu c’est donc la passerelle entre ce qui est bon pour tous et ce qui est bon pour soi ».
Parallèlement, le citoyen doit apprendre à devenir vertueux et respecter la loi, qui dit ce qui est vertueux, mais sans être définitive ni fixe.
C’est ce principe de bien commun qui traverse tout son programme et qui explique que la priorité de son parti soit de « donner le pouvoir, tout le pouvoir au peuple, c’est-à-dire à la communauté humaine, parce qu’elle est la mieux placée pour s’occuper de son intérêt général. Le peuple souverain doit définir lui-même ses règles de fonctionnement politique. » D’où la proposition de convoquer une assemblée constituante de gens jamais élus au Parlement pour rédiger une nouvelle Constitution sous le contrôle des citoyens. D’où, également, l’idée de renégocier les traités liant la France à l’Europe, qui à quitter l’UE si les négociations devaient échouer.
Les travaux de l’assemblée constituante seront couplés à des propositions pour une 6ème République « démocratique, égalitaire, instituant de nouveaux droits et imposant l’impératif écologique ». Voilà pour les conditions de base.
En fait, à la lecture du programme, on est pris par une sorte de vertige du tout ou rien. Monsieur Mélenchon ne pas veut rafistoler ce qui existe déjà mais changer le système, ce qui est bien normal pour l’extrême gauche, mais aussi pour l’extrême droite. Les deux tendances s’accordent d’ailleurs assez bien pour dénoncer la caste politico-médiatique qui semble leur faire tellement de tort mais sans qui ils n’existeraient pas. Le point 2 du programme de Monsieur Mélenchon consiste à « balayer l’oligarchie, balayer les privilèges de la caste ». En pratique, et en vrac, il s’agit de rendre inéligible à vie toute personne condamnée pour corruption, d’interdire le lobbying (va falloir s’accrocher) ou de « mettre fin à l’usurpation par le Medef de la parole des chefs d’entreprises » (position classique de l’extrême gauche). On va voir ce qu’on va voir !
D’ailleurs, le candidat de la France insoumise a profité de son meeting à Châteauroux le 2 avril pour rôder son nouveau slogan : « la force du peuple ». Vieille rengaine de l’opposition peuple-oligarchie qui régale également les frontistes.
C’est le privilège des extrêmes que de mettre plus de passion que de raison dans leurs programmes, c’est ce qui fascine autant que ce qui repousse. Cela explique sûrement pourquoi ils ne réussissent pas à passer le cap de l’élection suprême. Certes, le candidat monte en ce moment dans les sondages, une troisième position semble accessible mais la victoire ? Dans un pays qui s’accorde de plus en plus pour trouver que Marine est la solution, l’aspect révolutionnaire du programme Mélenchon est plus effrayant car il ne surfe pas sur une prétendue image de la France éternelle. Lui, y voit un symptôme d’une certaine déconfiture démocratique : « la progression de l’extrême-droite s’est toujours nourrie de la décomposition des règles de la société démocratique. (…) Si on dissout les fondements des règles de la société démocratique, que reste-t-il ? La loi du clan, de la tribu, de l’ethnie. L’extrême-droite, c’est ce qui reste au fond de la casserole quand la Vertu républicaine s’est évaporée ».
Mais le véritable ennemi du candidat d’extrême-gauche, c’est l’argent. Ce qui n’est pas sans évoquer un autre candidat qui avait de la finance son ennemie mais qui, une fois arrivé, s’en est bien accommodé. En d’autres termes, le règne de l’argent roi empiète sur la liberté de l’individu, en tant que capacité de chaque être à décider de quelque chose. Dans une société vertueuse, il convient de « séparer le commerce de la République » et de cesser de définir la liberté comme synonyme du libre-échange. La liberté doit être encadrée par la loi, selon le principe bien que connu que ma liberté s’arrête là où commence la tienne, et protégée par des institutions. Ainsi en est-il de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
La liberté doit également être cultivée et développée par la mise à distance des notions religieuses dans les apprentissages fondamentaux (notion non précisée plus avant). Il s’agit également de faire reculer l’influence des marques et des publicités à l’école. J’imagine que Monsieur Mélenchon voit comme une horreur et une hérésie républicaine le sponsoring des universités américaines par des grands groupes et je ne lui donne pas tort. « L’injonction de normes comportementales, vestimentaires ou alimentaires par le système de la publicité est aujourd’hui la principale menace sur la liberté de l’esprit ». Retour à la blouse ou à l’uniforme ? Je crois que Fillon le propose. « L’obscurantisme fondamental de notre époque est le consumérisme ».
La mise en application de cette liberté implique, entre autres, l’abolition de la loi El Khomri car il ne peut y avoir de « liberté dans la relation au travail s’il n’y a pas un code du travail qui s’applique partout, à tout le monde, de la même manière ». Un élément de son programme qu’il rappelle à tous ses meetings. Rappelons que cette loi donne la priorité aux accords pris au sein de chaque entreprise sur les autres normes.
Mélenchon, comme le précise le site Médiapart, compte également s’attaquer à la « mine d’or » du médicament. « Je voudrais d’abord qu’on rétablisse un peu de vertu dans ce domaine ». On note une cohérence de vocabulaire et des idées-forces de son programme.
Je passe sur l’aspect écolo de son programme car, même si le candidat insoumis ne vient pas de découvrir les problèmes liés à la surproduction humaine, les propositions des candidats ne sont, jusqu’à aujourd’hui, que des moyens d’attirer à eux les électeurs verts. L’idée de constitutionnaliser la règle verte, soit ne pas prélever sur la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer ni produire plus que ce qu’elle peut supporter, me paraît une évidence sur le papier mais son application me semble chimérique, même sous une 6ème République : trop d’intervenants et de répercussions. Je ne crois pas possible de prévoir ce qui se passerait si l’Etat venait à imposer des quotas de production partout en France alors que les autres pays européens n’y seraient pas soumis. De plus, l’écologie le rapproche de Benoît Hamon, alors qu’il ne pense qu’à s’éloigner du vieux bateau troué qu’est devenu le PS. Mélenchon, ancien trotskiste, a fait sa carrière au PS mais il a entrevu et théorisé la mort des partis politiques, au point de déclarer qu’il se retirera dès la fin des travaux de la constituante, ce dont on peut douter malgré tout.
Malheureusement pour lui, comme l’analyse Vincent Martigny, maître de conférences à Polytechnique et chercheur au CEVIPOF, dans l’excellent hebdomadaire le 1, « entre Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, il y a moins de différence qu’entre les grands leaders de la gauche communiste et de la gauche socialiste d’hier. Ce n’est que la publicité donnée à leurs différences, par le biais de la primaire pour l’un, via un appareil partisan pour l’autre, que naît la division. Fondamentalement, leurs programmes sont compatibles ». Les deux candidats incarnent la Gauche des valeurs et tentent d’inventer la Gauche de demain mais le candidat insoumis « essaie d’agglomérer le socialisme à l’ancienne et la culture communiste, dans laquelle le travail joue un rôle essentiel. »
Finalement, le vrai rival de Mélenchon dans la course à la présidence n’est pas vraiment Fillon ni Marine Le Pen mais bien Emmanuel Macron, trentenaire inexpérimenté qui réussit un coup de maître et pour lequel l’ancien sénateur a une certaine admiration, ni de gauche, ni de droite, ni du centre, partout et nulle part, Macron rassemble et aura bien du mal à assembler les ralliements disparates qui gonflent ses rangs.
Leader sans véritable intermédiaire entre lui et les partisans, Mélenchon poursuit sa marche, sabre au clair, sûr que les 4 millions de voix obtenues en 2012 lui sont acquises. Il part désormais chasser les abstentionnistes et les dégoûtés, les déçus, les indécis, avec moins de bruit, plus de mots et de poésie, une des marques de fabrique de ce diable d’homme aux 666 signatures.

Petite précision : je suis obligé de mettre au moins une demie étoile mais cela ne correspond qu'au fonctionnement du site, pas à ma notation.