Le sixième grand-père, Black Elk et la grande vision
de Raymond J. DeMallie, Hehaka Sapa

critiqué par Heyrike, le 11 avril 2004
(Eure - 56 ans)


La note:  étoiles
"Mes enfants devaient vivre dans ce monde"
La rencontre entre Black Elk et John Neihardt, en 1931, marque le début d'une collaboration fructueuse qui va sceller leurs amitiés.

Pour Black Elk c'est la possibilité de porter à la connaissance du monde son histoire et plus particulièrement sa grande vision qui bouleversa son existence, alors qu'il n'avait que 9 ans, et fit de lui, quelques années plus tard, un homme médecine important et honoré par son peuple. Aux yeux de Black Elk, John Neihardt n'est pas seulement un poète, c'est "un porteur de mots" capable d'insuffler le pouvoir au récit oral pour en extraire les moindres richesses. Neihardt dira plus tard qu'il ressentit, lors des discussions avec Black Elk, comme une "fusion de leurs consciences".
De son coté, Neihardt pense avoir trouvé en Black Elk la personnification même de l'âme Indienne qui lui permettra de poursuivre son œuvre entrepris quelques années auparavant. Son travail constitué de plusieurs volumes se présente comme une suite de poèmes épiques ayant pour cadre l'Ouest américain. Neihardt fait preuve d'un très grand respect pour la culture indienne, n'hésitant pas à organiser des festins traditionnelles pour célébrer son amitié avec Black Elk. Ce dernier fini par adopter Neihardt comme son propre fils.

L'ouvrage comprend trois parties :
Dans la première partie DeMallie relate les circonstances exactes dans lesquels se sont déroulés les entretiens. Black Elk s'étant converti au christianisme en 1904 (devenu catéchiste, il est envoyé par les jésuites dans les réserves à travers le pays pour convertir les indiens), l'auteur analyse le récit de sa grande vision est démontre que si certains passages semblent être imprégnés par la foi chrétienne, l'essentiel des descriptions restent fidèles à l'imagerie spirituelle des Indiens d'Amérique du Nord.

Le texte original ("Black Elk parle") est le résultat d'une succession de traductions et de transcriptions. Black Elk, suivant la tradition orale, racontait son histoire en Lakota, son fils, Ben Elk, traduisait ses propos en "anglais indien" (sorte de dialecte local employé par les indiens), a l'intention de Neihardt, qui à son tour les retraduisait en anglais correct à l'intention de sa fille Enid, celle ci les notifiés en sténo, pour à la finale les dactylographier, supprimant certains passages qu'elle jugeait répétitifs. Ce document servit de base à Neihardt pour commencer son récit. Il rédigea le texte définitif en créant un style littéraire spécifique qui devait, à partir de mots et d'expression "simple", rendre les propos de Black Elk le plus compréhensible et crédible possible, quitte à amputer celui ci de passages qu'il estimait confus ou susceptible de parasité l'ensemble du récit. Neihardt accomplit un travail énorme pour rédiger l'un des tout premier ouvrage qui tente d'éveiller les consciences sur le sort infâme infligé aux indiens, à une époque où une majorité des personnes s'accordaient à dire qu'ils étaient destinés à disparaître.

Tout le travail de DeMallie a été de retravailler à partir des notes sténo, des documents tapés à la machine et bien entendu du texte original pour restituer avec exactitude les paroles de Black Elk, n'hésitant pas à corriger les erreurs dues aux notes sténo parfois brouillonnes où aux libertés prises par Neihardt sur certains évènements mis de coté pour des raisons de mise en forme du texte. Le résultat est une rénovation complète de "Black Elk Parle", qui, si elle n'en demeure pas moins proche de l'original, propose un texte plus cohérent et plus explicite.

La deuxième partie est le récit de Black Elk.
Black Elk est né 1863, à une époque où les Lakotas connaissent leurs dernières heures de gloire. A l'âge de 9 ans il tombe gravement malade, plongé dans le coma il accomplit sa grande vision qui lui révèle sa destinée au sein de son peuple. En 1876 il assiste à la bataille de Little Big Horn où il compte son premier coup, puis il connaît l'exode au Canada. En 1880, affamé, son groupe retourne aux Etats Unis où ils sont parqués dans une réserve. Désemparé, il requiert l'aide d'un homme médecine pour mettre en scène sa vision, seul moyen de prendre possession de ses pouvoirs.

Durant cinq ans, il pratique ses talents d'homme médecine avec succès, mais constatant avec tristesse la déchéance de son peuple il quitte la réserve, bien décidé à comprendre les raisons des malheurs qui accablent son peuple voué, semble t-il, à disparaître. En 1886, il s'engage dans le Wild West Show de Buffalo Bill et part en Europe. En Angleterre il manque le bateau qui transporte le spectacle en France, il parvient à se faire engager dans un autre spectacle itinérant. A Paris, il tombe gravement malade, il est recueilli par une famille avec laquelle il se lie d'amitié (Ce qui n'est pas sans rappeler le livre de James Welch "A la grâce de Marseille", avec son héros Charging Elk). En 1889 il est rapatrié en Amérique où il découvre que les conditions de vie dans la réserve se sont dégradés. Il entend parler d'une nouvelle religion, la Ghost Dance. Comme beaucoup d'autres hommes médecines, il dirige plusieurs cérémonies dans le plus grand secret. Mais l'ampleur du phénomène alerte le gouvernement qui envoie des troupes afin de faire cesser ces rassemblement de " sauvages païens " susceptibles de raviver les luttes Indienne. Le 29 décembre 1890, la bande de Big Foot est massacrée par les soldats. Black Elk, accompagné par quelques personnes ayant entendus les coups de feu, assiste impuissant au carnage. Suite à cette nouvelle, quatre mille indiens de la réserve de Pine Ridge fuient vers un camp retranché, certains d'être à leur tour victime des soldats. Après quelques jours de lutte, les chefs de bande décident de se rendre. Ainsi s'achevaient quatre cents cinquante ans de résistance indienne face à l'envahisseur.

La dernière partie, qui ne figure pas dans "Black Elk parle", est issue des entretiens de 1941. Composée d'histoires et légendes pour la plupart antérieurs à la rencontre avec l'homme blanc, Black Elk nous fait partager l'existence au quotidien des Sioux Lakotas. Que se soit avec des récits de parti de guerre contre leurs ennemies héréditaires, de campagne de chasse aux bisons ou tout simplement la façon de faire la court à une femme convoitée, Black Elk nous emporte loin dans un monde où les êtres étaient conscients que l'acte de vie étant sacré, tout devait inciter à l'humilité et au respect face au Grand Tout.

Un document incontournable qui permet de saisir pleinement la richesse historique et culturel des Lakotas. Sous la pression des Jésuites, qui voyaient dans ce récit la rechute de leur plus zélé catéchiste dans ces anciennes croyances païennes, Black Elk désavoua le livre de Neihardt lors de sa publication. Bien qu'ayant abandonné depuis plus de trente ans les pratiques ancestrales (malgré l'insistance de Neihardt, il refusa toujours de pratiquer une séance Yuwipi), Black Elk ne put s'empêcher de raconter son histoire et sa grande vision, comme si par cet ultime acte de résistance il souhaitait que jamais rien n'empêche la culture Indienne de se perpétrer. Neihardt lui demandant un jour pourquoi il avait tourné le dos à l'ancienne religion des Lakotas, il lui répondit "Mes enfants devaient vivre dans ce monde".
Que reste-t-il de l'héritage indien ? 10 étoiles

Je n'ai pas grand chose à ajouter à l'excellente critique d'Heyrike, fort complète, et mon avis ici est surtout destiné à appuyer le livre. Je le conseillerai donc de préférence au précédent "Elan Noir parle" pour la simple raison qu'il est plus complet et apporte un nouvel éclairage sur le témoignage de Black Elk. S'il fallait faire un choix dans tous les ouvrages parus sur les Indiens, qu'ils soient écrits par eux ou par des blancs, je placerai celui-ci dans une sorte de bibliothèque idéale. A mon humble avis, c'est un indispensable pour découvrir et comprendre l'âme Indienne, et mesurer le fossé qui sépare les générations.

Folfaerie - - 55 ans - 3 juin 2004