Les gens des marais suivi de Un sang fort et Les tribulations de Frère Jéro
de Wole Soyinka

critiqué par Septularisen, le 7 décembre 2016
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
LE DRAMATURGE LE PLUS COMPLET D'AFRIQUE
Ce livre regroupe trois très courtes pièces de théâtre, (une cinquantaine de page chacune), écrite dans les années 60 par Wole SOYINKA (*1934). Comme toujours chez l’auteur Africain on retrouve la coexistence d’éléments réalistes, lyriques et symboliques. Masques, gestes, danses, chansons, musique, incantations… Tout le pays Yoruba s’y trouve représente, créant une complicité entre le spectateur et le spectacle. On retrouve donc:

«Les gens des marais», pièce en acte : 3,5/5.
L’action se déroule dans une hutte dans les marais du delta du Niger. Deux pauvres vieillards, Makouri et sa femme Alou, paysans respectueux des coutumes et des rites, guettent l’extérieur. Ils attendent le retour d’Igouézou leur fils. Celui-ci est récemment revenu dans son village natal, après un long séjour à Lagos, où il était parti avec sa jeune épouse pour tenter de faire fortune. Igouézou est revenu chercher la récolte qu’il avait semée avant de partir… Malheureusement les inondations ont entièrement détruit son champ de mil…
Cette pièce dénonce les mirages de la tradition et les illusions de la ville.

«Le sang fort », pièce en un acte : 3,5/5.
Dans un village retiré à l’intérieur de la savane, Eman, le maître d’école qui s’est récemment installé, s’apprête à fêter la nouvelle année. Summa sa servante, la fille de Jaguna le chef du village essaye de le faire partir du village coûte que coûte, mais Eman refuse. Celui-ci reste notamment pour veiller sur Ifada, un jeune simple d’esprit, lui aussi étranger au village. Tout à coup celui-ci est enlevé de force par les hommes du village…
Cette courte pièce est violente et tragique. Elle évoque le thème du sacrifice du héros, et le refus de celui-ci de subordonner son individualité au conformisme social et religieux du clan.

«Les tribulations de Frère Jéro», pièce en un acte et 5 scènes: 3,5/5.
Au début de l’histoire, Tchoumé, jeune garçon de bureau, dépose sa femme Amopé, tisseuse de métier, devant la maison d’un de ses clients qui lui doit une forte somme d’argent. Celle-ci est bien décidée à camper devant la maison et d’en empêcher son propriétaire à en sortir, tant que celui-ci n’a pas réglé sa dette. Plus tard, nous retrouvons Tchoumé, celui-ci au lieu d’aller travailler, s’est rendu sur la page de Lagos afin d’écouter un «prédicateur», Frère Jéro. Celui-ci lui interdit, une fois de plus, de battre sa femme qui pourtant l’exaspère! Ce que Tchoumé ignore c’est que Frère Jéro est le débiteur de sa femme, alors que celui-ci ignore que Tchoumé est le mari d’Amopé…
«Les tribulations de Frère Jéro» est une des pièces les plus divertissantes de l’auteur Nigérian. On y voit la première apparition du charismatique personnage récurrent chez SOYINKA : Frère Jéroboam. (On retrouvera celui-ci notamment dans « La métamorphose de Frère Jéro », déjà critiqué par ailleurs sur CL). C’est l’histoire du disciple qui démasque le charlatan sous le prophète, le tout sur un mode très satirique…

Dans une langue raffinée et une écriture simple et accessible à tous, Wole SOYINKA dénonce tous les échecs et les déceptions de l’Afrique moderne, l’indépendance, l’asservissement des masses, le paysan comme ennemi intérieur, la religion, l’oppresseur noir après le colonisateur…

Assurément du très grand théâtre par le premier africain Prix Nobel de Littérature.